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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/454

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Car nous ne souhaitons aucunement que la comédie nous offre de l’humanité une image embellie et de notre société un portrait flatté. Nous n’avons aucune tendresse de cœur pour la convention optimiste. Nous savons tout ce que cet optimisme comporte de niaiserie : pour concevoir de l’humanité une très haute opinion, il faut n’avoir guère regardé autour de soi et surtout ne pas se connaître soi-même. Mais à quiconque affiche le projet de peindre les hommes, nous demandons de les représenter tels qu’ils sont, et de faire vrai. Or c’est une méchante plaisanterie de vouloir personnifier toute une société, fût-elle la plus corrompue qui se puisse imaginer, dans un ramassis de coquins. C’est méconnaître à la fois le niveau moyen où se tient le plus grand nombre et le degré de valeur morale où s’élèvent quelques-uns. La plupart des hommes sont médiocres dans le mal comme dans le bien. Faibles de volonté, dépendant des circonstances et du milieu, on ne peut en attendre et on n’en exige pas de grands héroïsmes ; mais on a lieu de croire, en manière de compensation, qu’ils reculeraient devant certaines infamies. C’est la masse, neutre et indifférente. Et il y a quelques êtres, non pas d’exception mais d’élite, qui, par la noblesse de leur âme, par la pureté de leurs sentimens, par leur droiture inaltérable, par leur puissance de dévouement, de sacrifice et d’abnégation, témoignent pour la nature humaine. Ceux-là prouvent le Bien en le vivant et la Vertu en la créant. Presque tous, nous avons ou dans notre voisinage ou dans notre souvenir une de ces figures d’idéale bonté vers qui va d’un mouvement naturel et justifié le culte de notre admiration. Est-ce une épouse, une mère, un père ou un fils ? Il y a des chances pour que ce soit une femme plutôt qu’un homme et un jeune homme ou un vieillard plutôt qu’un homme dans la période d’activité intense, qui est souvent le temps de l’égoïsme. Mais l’existence de ces êtres de choix est un fait, et aussi nécessaire à constater que celle des êtres néfastes, pour rendre intelligible le train du monde. C’est par une obscure conscience de cette vérité que la comédie de tous les temps, parmi ses personnages, en désigne un vers lequel elle dirige nos sympathies. Ce personnage sympathique, contre lequel se sont maintes fois acharnés les théoriciens du théâtre, mais qui reparait sans cesse et en dépit de tous les ostracismes, peut d’ailleurs être mal choisi, conventionnel, et nous inspirer tout le contraire de la sympathie. C’est de la part de l’auteur un défaut d’exécution, non une erreur de principe.

Ce mélange du médiocre et de l’excellent, cet équilibre de deux perfections, l’une dans le mal, mais l’autre dans le bien, le trouvons