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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/605

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mauvais si nos actes sont mauvais, mais il ne pense pas pouvoir assurer que ce que nous appelons justice soit jamais infailliblement réalisé. Quant à la vie future, il ne l’affirme ni ne la nie, il nous laisse libres d’y croire. À l’objection qu’une telle morale n’offre pas une certitude capable de s’imposer à l’assentiment, M. Fouillée répondra que si les convictions et les actes moraux offraient le caractère infaillible et irréfragable des démonstrations scientifiques, ils perdraient par là même un des élémens qui caractérisent la moralité. Reprenant le mot de Platon, il nous convie à courir de beaux dangers, il s’approprie la doctrine du risque que nous trouvions tout à l’heure chez Guyau, estimant qu’il se peut après tout que les espérances de justice se trouvent déçues, qu’il se peut même que les principes de notre morale soient erronés, mais que de courir le risque de cette déception et de cette erreur, de jouer notre vie sur une si belle carte constitue le plus noble trait de notre moralité. « Que nous soyons punis ou récompensés par la nature, par les hommes ou par un juge éternel, c’est une question qui n’entre pas et ne doit pas entrer comme élément essentiel et primitif dans notre intention. Il faut maintenir l’idée morale en sa sublimité et la présenter telle qu’elle est à l’esprit de tous. Dans ce domaine supérieur, une alternative se pose sans transaction possible : se donner ou ne pas se donner à une idée. Si nous n’avons pas, nous, la force de réaliser la bonté idéale, au moins devons-nous la concevoir, elle, dans toute sa grandeur. »


IV

Le 1er janvier 1901, sous ce titre : La morale ancienne et la morale moderne, la Revue philosophique publia un article de Victor Brochard, qui eut un retentissement considérable et dont les effets durent encore.

S’appuyant sur ce fait que les anciens paraissent avoir ignoré les notions de loi, de devoir, d’obligation, de sanction au sens moderne que ces mots ont pris, l’auteur subtil et pénétrant des Sceptiques grecs se demandait si ces notions étaient essentielles à la nature morale de l’homme ou si elles ne devaient pas plutôt être considérées comme des apports plus ou moins factices