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véritables fonctions humaines. Ainsi, aux yeux de M. Deploige, le conflit qui s’est élevé entre la morale et la sociologie est de nature tout à fait artificielle : ce qui s’oppose à la sociologie, ce n’est pas la morale, c’est le droit naturel tel que, depuis la Réforme et depuis Rousseau, les philosophes modernes l’entendent, c’est-à-dire ce système tout abstrait et a priori de déductions d’après lesquelles, sans tenir compte de l’observation et de l’expérience, on prétend établir toutes les règles morales. La vraie morale, telle que l’entendait la tradition scolastique et en particulier saint Thomas, loin de voir dans la sociologie une adversaire, y découvre au contraire une indispensable alliée : elle n’est autre chose que la sociologie même à laquelle vient s’ajouter un art moral rationnel.

Peut-être cependant M. Deploige simplifie-t-il à l’excès les choses. Il doit en plus reconnaître qu’il y a des principes premiers de la raison pratique qui, loin de venir des mœurs, ont au contraire pour fonction de les juger. Saint Thomas reconnaît expressément que la conscience de l’inférieur peut l’autoriser et l’obliger même à ne pas suivre les ordres du supérieur. D’où il suit que, si l’expérience sociologique peut fournir la matière des règles et le contenu des lois, c’est quelque chose de très différent qui constitue la valeur purement morale et des règles et des lois.


III

Mais on pense bien que les doctrines spiritualistes et chrétiennes ont aussi encore quelques soutiens. Tout récemment, un jeune professeur écrivait un livre entier[1] pour rattacher la morale à des fondemens métaphysiques et construire ainsi ce que M. Lévy-Brühl a voulu qu’on appelât une « métamorale. » Et l’on a adopté ce nom. Mais avant même qu’il fût mis en circulation, le P. Sertillanges, au nom de la scolastique chrétienne, M. Dunan, au nom des doctrines traditionnelles ingénieusement et très fortement renouvelées, montraient que la morale a besoin de s’appuyer sur une doctrine métaphysique, sans quoi elle reste en l’air et manque de solidité, parce qu’elle manque de toute raison d’exister. Et plus récemment, M. l’abbé

  1. La Morale rationnelle dans si s relations avec la philosophie générale, par Albert Leclère.