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Piat consacrait tout un volume[1] à soutenir, mais par de tout autres moyens, des doctrines presque pareilles.

Nous avons vu comment le P. Sertillanges fait de la loi morale un des articles de la loi naturelle, et ne peut la concevoir sans la rattacher au Souverain Législateur. M. Piat, lui aussi, fait reposer toute la morale sur l’idée du bien, mais tandis que le P. Sertillanges, touché des critiques que nos modernes ont faites des fins sensibles, distingue entre un bonheur-sentiment qu’il ne croit pas digne de soutenir la moralité, et un bonheur-état auquel, au contraire, il attribue cette dignité, M. Piat, n’opérant pas cette distinction, ne considère que la jouissance ou le bonheur-sentiment ; il le réhabilite en termes chaleureux et finalement le confond, ou à peu près, avec le bien même. Il va jusqu’à écrire : « Que la souffrance pénètre dans le ciel à la suite de la vertu, et il devient un autre enfer. Que la joie descende dans l’enfer à la suite du vice, et il devient un autre ciel. » Et si ces formules peuvent surprendre et paraître étranges car les termes se combattent et l’hypothèse est inconcevable, l’idée inspiratrice du moins est très claire, c’est que jouir, c’est le ciel, et que souffrir, c’est l’enfer.

Lorsqu’il en vient à se demander quels sont les rapports de notre obligation morale avec Dieu, M. Piat distingue, semble-t-il, deux sortes d’obligation : l’une naturelle et qui dépend de notre constitution comme être intelligent et sensible ; l’autre qui se fonde sur le droit de Dieu à commander en vue du bien, qui dépasse la nature et est par conséquent préter-naturelle. Cette « obligation qui procède de la volonté divine ne supprime pas l’autre, elle ne fait que la prolonger. » En conséquence, M. Piat ne saurait admettre une autonomie véritable de la volonté ; il faut, selon lui, que le commandement divin demeure extérieur à nous pour rester divin. Et cependant il affirme que ce commandement peut devenir rationnel. Et que faut-il pour cela ? Que l’on ait pour l’admettre des motifs suffisans. Mais peut-être pourrait-on dire à M. Piat qu’un motif que nous jugeons suffisant ne saurait non plus nous être extérieur.

Venant enfin aux sanctions, M. Piat les déclare nécessaires à la morale et fondées sur l’idée de justice. La justice ne peut s’accomplir qu’au-delà du tombeau et grâce aux sanctions

  1. La Morale du bonheur, in-8, Paris, Alcan, 1909.