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proposées par la théologie chrétienne, dans le ciel ou dans l’enfer. C’est par de tout autres voies que M. Dunan dans ses Essais de philosophie générale marque la dépendance de la morale vis-à-vis de la métaphysique. Il ne lui semble pas que les ordres du devoir puissent rationnellement se justifier autrement que par les fins, c’est-à-dire par le bien qu’ils ont pour effet de procurer. Mais ce bien, où se trouve-t-il, et quelle est sa vraie nature ? Les uns, comme les anciens et tous les rationalistes modernes, estiment qu’il ne peut se trouver que dans la nature de l’homme ; à leurs yeux, il est donc immanent et leur doctrine est un naturalisme ; les autres, comme les chrétiens et Kant, pensent que le bien véritable dépasse notre nature et doit nous être par conséquent imposé par une législation supérieure ; c’est une doctrine de transcendance. M. Dunan ne croit pas que les deux doctrines soient aussi inconciliables qu’il peut le sembler. Il est même indispensable qu’elles puissent se concilier, car, d’une part, comment une loi étrangère à l’homme pourrait-elle obliger l’homme ? Et par là l’autonomie et dès lors une certaine sorte d’immanence est liée à l’idée même de moralité. Mais d’autre part, comment l’homme pourrait-il enfermer sa vertu dans les limites étroites de son être ? Serait-il véritablement moral s’il n’aspirait à se dépasser ? Et par là est requise une législation d’ordre supérieur qui ne peut être que transcendante. Voici maintenant comment ces deux législations peuvent se concilier. C’est dans sa propre nature, c’est en lui-même que l’homme éprouve l’insuffisance de sa nature pour remplir l’idéal qu’il porte en lui : la législation supérieure qui lui trace les voies vers cette perfection ne lui est donc pas, ne peut pas lui être étrangère. Mais cela n’est possible que parce que l’homme a une nature particulière qui ne s’accomplit qu’à la condition de se dépasser : son être est tel que son bien exige à la fois l’autonomie et la transcendance. C’est par là que la morale dépend de la métaphysique. Car la métaphysique seule peut nous faire connaître la vraie nature des êtres. Et c’est de sa nature que dépend pour chaque être le souverain Bien.

Pour M. Dunan aussi bien que pour les anciens, le bien de l’homme consiste donc à vivre selon sa nature. Cette nature est avant tout celle d’un vivant : vivre de la vie la plus haute et pour tout dire la plus vivante sera, pour M. Dunan comme