Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour Guyau, le fond même de la morale. Mais M. Dunan donne au mot « vie » un sens singulièrement profond. D’après lui, vivre, avant tout, c’est agir, c’est à la fois subir les contrecoups de l’univers tout entier et imposer à l’univers tout entier les contre-coups de nos propres actes. Cela est vrai de tout être, mais l’est surtout des êtres humains qui, jouissant de la liberté, sont indépendans, peuvent créer du nouveau dans l’univers et ont en eux-mêmes une réalité en quelque sorte absolue. D’autant que par leur intelligence et par leur raison ils découvrent au fond d’eux-mêmes l’absolu véritable, Dieu, auquel ils sont profondément et intimement attachés. De toutes parts l’homme est enveloppé d’absolu, environné de divin. Il ne vit tout à fait en homme qu’en vivant pour Dieu. C’est par là qu’il se développe et qu’il mérite.

J’ai vainement cherché dans la morale de M. Dunan un chapitre sur les sanctions. Qu’est-ce à dire et qu’en pense-t-il ? Aurait-il été embarrassé pour nous dire sa pensée ? Il semble cependant qu’elle ne doit pas s’écarter sensiblement des solutions spiritualistes et chrétiennes. Car il a écrit : « Si le règne de la justice doit arriver et si nous devons être de ce règne béni les témoins et les bénéficiaires, c’est donc qu’il y a en nous quelque chose qui n’a pas dans la matière sa raison dernière, une âme spirituelle par conséquent. » Dans ce passage, en même temps que se trouve affirmée avec émotion la croyance à l’avènement du « règne béni » de la justice, la spiritualité, l’immortalité de l’âme s’en déduisent comme corollaires. Et par là probablement les conclusions de M. Dunan finiraient par se rapprocher de celles du P. Sertillanges et de M. l’abbé Piat.


IV

Après avoir accompli autour de tous ces ouvrages ce périple que le lecteur a sans doute trouvé pénible, il semble donc que nous ne soyons guère avancés. On se demande toujours de quelle nature est le commandement moral. Est-ce un ordre absolu, un impératif catégorique, comme disait Kant, qui s’impose par son autorité, par une sorte de majesté propre et devant lequel nous n’avons, pour bien faire, qu’à nous incliner sans lui demander ses titres ? Cet ordre absolu tire-t-il sa raison