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anciens. Ce bien que l’homme doit rechercher d’abord et réaliser ensuite, c’est l’intérêt individuel, dit M. Landry, c’est l’intérêt collectif, dit M. Belot, c’est le conformisme social, dit M. Durkheim après Spencer, et M. Lévy-Brühl pense sans doute à peu près de même, mais, lié par sa critique des morales théoriques, il ne consent à donner aucun but à la science positive des mœurs : on peut en tirer un art, mais non pas des règles, on peut la faire servir à des fins, mais elle est impuissante à dire quelles sont les fins à poursuivre, d’où M. Albert Bayet se croit autorisé à conclure que chacun peut à ses risques et périls faire servir l’art moral rationnel aux fins qu’il lui a plu de choisir.

Cependant, au milieu de cet apparent chaos de doctrines, une idée subsiste et se dresse comme une île au milieu des flots, à savoir que la loi morale est une loi de l’être humain, une loi que la raison peut découvrir et qui peut et doit même se justifier devant la raison, soit qu’elle se confonde avec la raison même dont elle serait, pour ainsi dire, l’expression, soit que la raison découvre dans l’analyse des actes moraux.

On demande quelquefois ce qui fait que nous nous sentons obligés, d’où vient l’impérieuse majesté du Devoir. Mais l’obligation, pour avoir une raison de s’imposer à nous, a-t-elle besoin d’autre chose que d’avoir raison ? La vie, la loi primordiale de toute vie nous pousse à être, à aller vers l’avenir ; la raison, à son tour, parmi toutes les voies qui s’ouvrent à nous, nous en fait voir une, une seule qui mérite vraiment d’être appelée nôtre : comment ne nous sentirions-nous pas, en même temps que poussés par la vie, liés, obligés par la raison ? La raison et le bien ne constituent pas deux principes différens, car c’est le bien même pressenti par l’intelligence qui fournit la raison d’agir. Et c’est cette raison intime qui justifie nos actes et fait leur valeur que M. Faguet appelle l’honneur.

Les disciples de Kant admettent aujourd’hui cette identification du bien et de la raison. Les spiritualistes l’admettent aussi. Seuls les sociologues, — et peut-être quelques théologiens qui sont aussi des sociologues, — ne souscriraient pas volontiers à cette analyse de l’idée d’obligation. Car pour les sociologues, la raison ne constitue pas une législation absolue de notre esprit, elle n’est que l’ensemble des idées communes, elle n’a pas une forme universelle qui lui soit propre, elle n’est