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Malheureusement, comme je l’ai dit, ce grand écrivain était l’inexactitude même en matière de dates ; et l’on a de bonnes raisons de croire, en particulier, que l’entretien chez le cardinal Farnèse, tel qu’il nous l’a raconté dans le chapitre de la seconde édition de son livre qu’il a consacré à sa propre « vie, » aux environs de 1568, n’a pas eu lieu durant l’armée 1546, — où l’un des amis qu’il nous cite comme y ayant pris part, l’érudit Molza, aurait été bien incapable de joindre ses instances à celles de Paul Jove et du cardinal, étant mort déjà depuis plus de deux ans. Aussi les uns, parmi les éditeurs et commentateurs du biographe d’Arezzo, ont-ils supposé que l’entretien susdit aurait eu lieu en 1543, hypothèse qui laisserait à Vasari un délai plus vraisemblable pour « développer » ses notes, publiées par lui dès 1548 ; tandis que d’autres, poussant plus loin encore le scepticisme à l’égard des affirmations de notre narrateur, accusent celui-ci d’avoir simplement inventé toute cette histoire, sous l’effet d’un besoin naturel qu’il a toujours eu de prêter une allure romanesque aux événemens les plus ordinaires. Ne va-t-on pas jusqu’à le soupçonner de n’avoir pas écrit lui-même ses fameuses Vies, ou tout au moins de les avoir fait récrire et remettre au point par son savant ami le prieur Borghini ? Mais ce sont là de ces paradoxes, d’une injustice toute gratuite, où se complaisent aujourd’hui les représentans de la « néo-critique ; » et il suffit de jeter un coup d’œil sur l’une quelconque des innombrables lettres intimes de Vasari pour reconnaître en lui le type le plus parfait de l’« écrivain-né, » expressément appelé par la Providence à trouver sa joie dans le maniement littéraire de la langue italienne. Sans compter qu’il n’y a pas jusqu’à maints détails du récit qu’on vient de lire qui ne trouvent leur confirmation dans le texte même de son livre, ou dans d’autres documens contemporains. Nous possédons, par exemple, une lettre du poète Annibal Caro, où celui-ci, le 11 décembre 1547, remercie Vasari de lui avoir soumis le manuscrit de son ouvrage, et lui signale, çà et là, telles petites incorrections de style ou telles tournures trop alambiquées. D’autre part, il est à noter que Vasari, dans la première édition de ses Vies, évite soigneusement de se nommer : « Quelqu’un qui se trouvait alors auprès d’Andréa del Sarto, » « quelqu’un qui vivait sous In patronage d’Octavien de Médicis. » C’est en ces termes qu’il y parle de soi : et ne pouvons-nous pas en conclure que, vraiment, son intention a été d’abord de « publier son livre sous un autre nom que le sien ? »

Quoi qu’il en soit, au reste, de ce point particulier de sa vie