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À travers un halo de poussière rougeâtre, j’entrevois à peine le petit temple de Kom-Ombô, dont le portique semble baigner dans le fleuve. Image de vétusté et d’abandon, évocation brève d’une Egypte décrépite, finie, ensevelie sous les sables. Et, de distance en distance, les ibis noirs, dressés sur une patte, se tiennent solitaires, au bord de l’eau morte, — oiseaux funèbres d’une lande stygienne.

La nuit tombante obscurcit encore les rives du fleuve cimmérien.

Bientôt, une agitation inaccoutumée emplit tout le bateau. La sirène se met à hurler longuement, avec insistance, comme pour appeler à l’aide ou signaler un danger invisible. Là-bas, bien loin, des lumières s’allument en files parallèles et régulières. Des espaces d’eau luisent sombrement autour de nous. Nous sommes près d’Assouan et de la première cataracte. Le steamer s’arrête ici. Il faut descendre pour ne plus remonter.

À tâtons, dans l’ombre, nous débarquons sur une langue de terre basse, dont le sol est mou comme celui d’une lagune. Des silhouettes diaboliques nous entourent en gesticulant. Ce sont les âniers berbérins qui vont nous conduire à la ville, éloignée d’une demi-lieue : car le Nil n’a plus assez d’eau, en cette saison, pour que nous puissions aborder à quai.

Les hommes noirs s’emparent de nous et de nos bagages. Au milieu du vent chaud qui nous souffle sa poussière dans la bouche, ils se disputent, ils crient, nous hissent de force sur leurs montures. Enfin, au galop des ânes, nous partons, dans les ténèbres brûlantes, vers un nouvel inconnu…


LOUIS BERTRAND.