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VIII. — L’HOMME

Notre étude serait bien incomplète si, après avoir essayé de retracer les divers aspects du talent si souple et si puissant de Levasseur, nous ne parlions pas de l’homme lui-même, de cet être si captivant par sa simplicité, sa droiture, son inaltérable égalité d’humeur, qui accueillait ses amis avec ce bon et large sourire qui illuminait sa belle figure, et dont nous avons peine à croire que le charme nous soit ravi à jamais. Tous ceux qui l’ont connu, soit qu’ils aient eu l’honneur insigne d’être admis dans son intimité, soit qu’ils aient, en qualité de disciples ou d’admirateurs, obtenu l’une de ces audiences que sa bienveillance ne refusait jamais, gardent l’impérissable souvenir d’un abord dont la cordialité n’avait rien de banal. Celui dont l’œuvre fut une manière d’encyclopédie, trouvait le temps de tout lire. Il était au courant de nos moindres travaux ; il ne cessait de s’instruire et était heureux de trouver, dans les plus modestes écrits de ceux qui étaient fiers de se dire ses élèves et qui ne se sentaient pas toujours le droit de s’intituler ses collègues, un renseignement dont il voulait bien leur dire qu’il faisait son profit, un fait nouveau, une précision sur un point laissé par lui de côté. Ai-je besoin d’ajouter que ce qu’il butinait ainsi chez autrui était peu de chose à côté du fruit de ses recherches personnelles, et que c’était à nous chaque jour de lui adresser des remerciemens pour les trésors d’érudition qu’il amassait et prodiguait dans ses écrits ? Presque tous constituent par excellence ce que les Allemands appellent des Nachschlagsbuecher, c’est-à-dire des ouvrages à consulter, des mines inépuisables, où de longues suites de générations trouveront les élémens de leurs travaux. Il semble, à tout bien considérer, que le choix des sujets de ses livres et la manière dont il les traitait eussent quelque rapport avec la noblesse de son caractère et l’idéal de sa vie. Comme il l’a dit lui-même dans son testament moral, dans ces pages d’une si haute philosophie, où il retrace sa carrière en même temps qu’il confesse ses croyances, il a toujours cherché la vérité ; et il l’a cherchée, non pour l’enfermer dans une main qui ne s’ouvre pas, mais pour la répandre avec ardeur autour de lui, pour en faire profiter l’humanité, pour faciliter aux autres les étapes de la route laborieuse qu’il