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frayait et où il conviait ses auditeurs et ses lecteurs à le suivre.

Nul plus que lui n’a eu en vue le bien public ; on peut presque dire qu’il lui sacrifiait parfois jusqu’au souci de l’élégance littéraire, tant il accumulait de faits et de chiffres dans les chapitres, les livres, les tomes de ses copieux ouvrages ; tant il avait soin de ne rien omettre, de ne rien laisser dans l’ombre de ce qu’il pensait pouvoir être utile aux étudians qui jureraient sur sa parole, de tous ceux qui acceptaient les yeux fermés, — et avec raison, — les résultats de ses enquêtes. Non seulement il n’était pas de ceux qui gardent jalousement une découverte, mais il prenait plaisir à tenir ses amis, jour par jour, au courant de son labeur. Chaque fois que l’un de nous allait le voir, il constatait le progrès de l’œuvre qui était alors sur le chantier. Levasseur communiquait à l’Académie, à des Revues françaises, étrangères, internationales, des chapitres du livre qu’il écrivait : la bonne parole se répandait ainsi de tous côtés et donnait au public un avant-goût de l’ouvrage près de paraître et qui prenait ensuite sa place dans les bibliothèques.

Cette générosité, ce désintéressement n’étaient pas seulement la marque distinctive du savant ; c’était le fonds même de la nature de Levasseur. On sait comment, après avoir éclairé de ses conseils une des grandes entreprises conçues par le génie d’un de nos compatriotes, il refusa le prix légitime de ses avis et voulut n’avoir agi que dans l’intérêt supérieur de l’humanité, dont ce grand et difficile travail devait un jour améliorer la condition. Les préoccupations d’un certain ordre semblaient ne pas même l’effleurer. En tout cas, elles n’exercèrent jamais la moindre influence sur sa conduite ; et, s’il a pu dire avec une légitime fierté que par son labeur il avait assuré la vie des siens, il n’a jamais fait entrer en ligne de compte, à aucun moment de sa carrière, les considérations d’intérêt personnel. C’est dans des récompenses d’un autre genre qu’il goûtait le fruit de ses efforts. Il n’était pas insensible, et il le laissait voir avec une simplicité touchante chez un homme de sa valeur, aux distinctions qui lui furent, nous ne dirons pas prodiguées, mais apportées de toutes parts. A côté des témoignages officiels, il en reçut à mainte reprise d’autres, plus précieux encore. Au mois de décembre 1908, dans une salle du Collège de France, ses collègues, ses disciples, ses amis s’étaient réunis pour fêter ses quatre-vingts ans. Les discours qui furent prononcés