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du lycée Saint-Louis adresse à la famille de son excellent professeur l’expression de ses sentimens émus, à l’occasion de la perte qu’elle vient de faire avec les lettres et la science françaises. Il a toujours conservé vivant le souvenir du jeune maître qui se donnait tout entier à son enseignement et « à ses élèves, A dont la classe offrait un intérêt si grand et si soutenu que les punitions y étaient inconnues. Tous, nous aimions M. Levasseur. L’écrivain l’a suivi avec l’intérêt le plus sympathique dans la belle et longue carrière qu’il a fournie et à laquelle il rend hommage. Hommage de reconnaissance, hommage du cœur, si ce n’est du talent et de la notoriété. » Il nous serait aisé de multiplier ces citations : mais cette lettre d’un élève qui, après un demi-siècle, témoigne d’un pareil attachement, nous a paru caractéristique. Aussi bien Levasseur était-il un des types les plus parfaits de ce savant moderne dont, au jour des funérailles, le ministre de l’Instruction publique, rendant hommage à sa mémoire, traçait le portrait : un apôtre qui se consacre à la recherche de la vérité et qui oublie tout dans la poursuite de ce noble but.

Gardons-nous de croire, cependant, que celui dont nous évoquons la grande figure fût étranger à aucun des problèmes qui, de tout temps, occupèrent les penseurs. Le statisticien qui poursuivait l’étude des faits, l’historien qui en racontait l’enchaînement, le géographe qui décrivait notre globe, l’économiste qui dégageait les lois de la richesse et de sa distribution, n’étaient pas le tout de Levasseur : il fut un moraliste. N’oublions pas que sa première vocation l’avait entraîné vers la philosophie. Il se plaisait aux méditations que de tout temps a provoquées le mystère de notre destinée. Lorsqu’il allait s’enfermer dans le manoir d’Harcourt, ce n’était pas seulement pour y vaquer, dans le calme de cette paisible retraite, à ses travaux ordinaires ; c’était pour concentrer ses idées sur ce qui forme l’éternel objet des réflexions humaines. C’est durant l’un de ces séjours qu’il écrivit le testament où il confesse sa foi spiritualiste, en séparant le côté humain des religions de ce qui en forme l’essence supérieure et divine.

En lisant ces lignes empreintes d’une si noble sincérité, nous n’avons pu nous défendre d’une émotion profonde. Nous nous sentions en présence d’un des représentans de cette humanité supérieure, de cet idéal vers lequel tendent les générations