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L’ANTIQUITÉ ROMAINE
ET
LA POÉSIE FRANÇAISE A L’ÉPOQUE PARNASSIENNE

A l’heure la plus chaude de la grande bataille romantique, un poète impétueux, et d’ailleurs médiocre, s’écriait d’un ton de lassitude irritée :


Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ?


Cet appel éploré a-t-il été entendu ? Beaucoup de gens paraissent le penser. A les en croire, grâce précisément aux compagnons de lutte de celui qui proférait cette exclamation, la littérature française aurait enfin, et pour jamais, secoué le poids dont l’accablaient les souvenirs de la Grèce et de Rome ; autant l’influence ancienne avait été primordiale dans notre poésie classique, autant elle serait absente de la poésie moderne ; celle-ci, quant à son inspiration, serait allemande, ou anglaise, ou italienne, ou espagnole, ou médiévale, ou tout simplement « actuelle, » bref, tout ce que l’on voudra, mais gréco-latine, non pas. Cette opinion, — dont on s’autorise souvent pour traiter dédaigneusement la tradition antique, comme une chose périmée qui, depuis plus d’un siècle, « aurait fait son temps, » — cette opinion nous semble on ne peut plus discutable. Il est permis de se demander si les poètes du XIXe siècle, tout en connaissant plus de littératures et de civilisations qu’un Ronsard ou un Racine, ont renié de parti pris celles que, depuis tant d’années, on avait coutume de vénérer ; s’ils ont rompu, ou seulement un peu détendu, le lien qui unissait notre poésie à ses plus lointaines