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origines ; et s’ils ne doivent rien à cette antiquité tour à tour tant exaltée et tant honnie.

Nous ne nous poserons pas cette question en ce qui concerne les romantiques : elle serait trop complexe, et appellerait des réponses différentes suivant les individus, peut-être même, pour chaque individu, suivant les jours et les heures. Nous avons montré déjà[1] que Victor Hugo, disciple pieux de Virgile, admirateur passionné de Juvénal, imitateur par surcroît de Lucain et d’Horace, ne saurait passer pour un fils ingrat de la Muse latine : pourtant il est assez significatif que, dans l’immense défilé des générations disparues qu’est la Légende des siècles, le monde romain soit à peine mentionné. Même incertitude pour les autres protagonistes du romantisme. Lamartine se souvient de Tibulle dans telle de ses Méditations, et, dans la Chute d’un ange, de Lucrèce, comme ailleurs d’Ossian et de Byron. Musset fait saluer par sa Muse « la Grèce, sa mère, où le miel est si doux, » ce qui ne l’empêche pas de rimer surtout des Contes d’Espagne et d’Italie. Alfred de Vigny décrit, avec une application minutieuse, une scène de mœurs, romaines, et, dans le reste de son œuvre, n’a pas l’air de beaucoup songer à l’antiquité latine, — ce que l’on peut regretter, car qui donc était plus capable que l’auteur de la Mort du Loup de sympathiser avec la grande fierté stoïcienne des Sénèque et des Lucain ? Sainte-Beuve enfin, humaniste et latiniste renforcé, est aussi le traducteur ou l’adaptateur des Lakistes anglais. On dirait vraiment que tous ces écrivains sont à la fois attirés et repoussés par les choses antiques : elles les séduisent par leur recul prestigieux, par la matière qu’elles offrent à l’admiration, à l’émotion ou à la rêverie ; et en même temps ils en ont peur parce qu’ils les croient trop exploitées, vulgarisées à tout jamais. Tant de froides et pâles copies qu’on a prétendu en faire leur en cachent en partie la beauté intrinsèque, — en partie seulement, — et, somme toute, ils ne sont, envers la Grèce et Rome, ni des héritiers dociles, ni des révolutionnaires acharnés.

Mais, après cette génération un peu indécise, une autre vient, qui, plus résolument, se remet à l’école de l’antiquité. Ce mouvement de réaction en faveur des formes d’art gréco-romaines, ce « néo -paganisme, » comme on Fa quelquefois appelé,

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1911.