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Danseur Bathylle et de Melænis. C’est à ce titre que nous allons l’envisager.

Il a d’abord cette originalité de constituer une exception au fait général que nous venons de signaler : il est beaucoup plus latin que grec. Flaubert, dans l’enthousiaste et tendre notice qu’il lui a consacrée, vante sa connaissance profonde de la langue latine : « Il écrivait dans cette langue, dit-il, presque aussi facilement qu’en français. » Flaubert ne dit rien de sa science du grec, par où nous avons le droit de supposer qu’elle devait être, ou peu s’en faut, inexistante. Au surplus, son tempérament personnel, avec ce qu’il avait de vigueur un peu dure et de savoureuse causticité, devait le disposer à mieux comprendre la force romaine que la grâce ionienne ou l’élégance attique. Rappellerons-nous à ce propos que les plus illustres poètes de sa province, Malherbe et Corneille, se sont trouvés bien plus à leur aise dans leur commerce avec l’esprit latin qu’avec le génie grec ? Quoi qu’il en soit de cette analogie, qu’il serait peut-être périlleux de vouloir trop généraliser, il est certain du moins, que la Grèce n’a rien ou presque rien suggéré à Louis Bouilhet, tandis que Rome lui a fourni, outre le conte de Melænis, plusieurs pièces plus courtes, mais non moins probantes, éparses dans Festons et Astragales et dans les Dernières chansons.

Il faut d’abord reconnaître que, s’étant donné comme objet de ressusciter la civilisation romaine à peu près de la même manière que d’autres avaient ressuscité celle de l’Espagne ou de l’Allemagne du moyen âge, Bouilhet s’est mis à la tâche avec beaucoup de conscience et une très sûre préparation. Ses bonnes études de latiniste, qui l’avaient mis à même de connaître de près les auteurs et les choses de Rome, l’ont préservé presque toujours des fausses notes, si choquantes dans la poésie historique, et des banalités, qui ne sont pas moins désagréables. Quand il nous montre la belle Metella, éprise d’un danseur, marchant au hasard « comme une bacchante en délire, » ne voyons pas dans cette comparaison un pur lieu commun : c’est exactement celle dont se sert Virgile pour dépeindre la folie de Didon ; elle est donc bien d’une tonalité antique. Ou bien encore, lorsqu’il fait dire à Melænis :


Tu saurais ce que vaut la femme furieuse !
Et la torche d’hymen, la torche aux cheveux d’or,
Pourrait prêter sa flamme à ton bûcher de mort !