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Mais, qu’il s’agisse d’un festin populacier dans une taverne, il ne dédaigne pas non plus d’enregistrer le menu servi au muletier de Capoue :


Un hachis de raisins et de viande pressée,
Plus un morceau de porc, une andouille épicée,
Et des pois gris nageant parmi des cervelas.


La première fois qu’il nous présente son héroïne Marcia, il n’omet aucune particularité de son costume, pas même les croissans d’émeraude qui ornent ses bottines rouges, quitte à refaire le même travail de description, et aussi complètement, lorsqu’il la représente dans sa toilette de mariée. Le héros du roman, Paulus, se fait gladiateur : aussitôt deux ou trois strophes nous font connaître l’équipement des gladiateurs et leurs diverses catégories. Il va aux bains : excellente occasion pour cataloguer tous les ustensiles dont il se sert, « la fiole en corne de gazelle, » « la ratissoire d’or, » « l’ampoule d’eau glacée, » sans oublier les vases, les trépieds et la grande table de marbre supportée par un léopard d’ivoire. A voir cette exactitude infaillible et inlassable, il semble que le poète se propose d’être instructif : ses œuvres, Melænis surtout, rappellent un peu ces romans historico-archéologiques dont le bon abbé Barthélémy avait jadis donné la formule, et où, depuis, d’ingénieux compilateurs se sont efforcés de dépeindre « Rome au siècle d’Auguste... » ou à tel siècle que l’on voudra. Elles ont plus de relief, à coup sûr, et plus de style ; mais elles n’en diffèrent pas en leur fond. Si nous ne craignions d’exagérer, nous dirions qu’elles font quelquefois l’effet d’un Dictionnaire d’antiquités adroitement découpé et mis en vers, — en beaux vers le plus souvent.

On peut ne pas aimer beaucoup cette poésie de tapissier, de couturier ou de commissaire-priseur. Mais d’abord, les reproches qu’on pourrait faire à Bouilhet ne tombent pas sur lui seul : la plupart des romantiques, au théâtre ou dans le roman, lui avaient donné l’exemple ; et son ami Flaubert n’a guère procédé d’autre manière. Le bric-à-brac romain de Melænis n’est pas plus copieusement étalé ni plus longuement inventorié que le bric-à-brac carthaginois de Salammbô. — De plus, si chacune des scènes, prise à part, laisse trop clairement apercevoir l’intention descriptive et énumérative, toutes, en se rapprochant, finissent