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par composer un tableau de l’existence à Rome sous Commode, auquel il ne manque pas grand’chose d’essentiel, et qui ne laisse pas d’être pittoresque et vivant. — Enfin, il arrive de temps en temps que le poète ne se contente pas du décor matériel ; il cherche à pénétrer, sous ces apparences extérieures, la réalité morale. Il ne fait pas, il est vrai, de psychologie bien subtile, mais enfin il parvient à montrer, en même temps que les choses de Rome, un peu de l’âme romaine.

Le portrait qu’il en trace n’est pas, en général, très flatteur. Les Romains de l’époque impériale lui apparaissent dominés par toute espèce de vices, mais surtout par deux principaux, la débauche et la cruauté. Débauche, que cet amour excessif du luxe, dont les raffinemens énervans sont décrits presque à chaque page de Melænis. Débauche, que cette passion morbide pour les histrions qui fait le thème du Danseur Bathylle. Débauche, que cette conception anormale de l’amour, indiquée avec une franchise à la fois si hardie et si sobre dans la curieuse pièce intitulée Étude antique. Débauche enfin, que cette prodigieuse gloutonnerie sur laquelle le poète revient sans cesse avec une verve inépuisée, à la hauteur vraiment de l’appétit de ses héros.

Ici, la satire du poète s’atténue d’indulgence, il rit complaisamment aux prouesses de table de ses personnages : il semble que de si bons mangeurs ne puissent être de méchantes gens... Mais que ce gros gourmand de Marcius soit dérangé de son festin, le voilà qui frappe en furieux, à tort et à travers, tuant deux ou trois esclaves au hasard. Ce court épisode, — de même que l’éloge, tout ensemble séduisant et cruel, du métier de gladiateur, — permet de mesurer ce qui subsiste, chez les plus voluptueux raffinés de Rome, de brutalité foncière, de mépris féroce pour la vie humaine. Nous n’avons pas ici à discuter la vérité de cette peinture : il nous suffira d’en remarquer l’accord avec celle que nous offrent les satiriques et les moralistes de l’antiquité latine. La prédication stoïcienne d’un Sénèque, notamment, s’attaque avec éloquence aux défauts que Louis Bouilhet a mis en lumière, à la sensualité sous toutes ses formes, et à la cruauté.

Ce n’est pas à dire, au surplus, que Bouilhet n’ait vu à Rome qu’un peuple de goinfres et de bourreaux : il y a reconnu, encore survivans, quelques vestiges des belles vertus d’autrefois. Il a