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célébré, dans des vers où l’on retrouve l’écho à peine affaibli de Virgile et de Juvénal, les joies austères et sereines de la vie domestique, et cet admirable type historique de la matrone romaine, de la mater familias :


Elle sera mêlée aux mères sérieuses,
Chaste, grave, et parfois guidant avec fierté
Un beau groupe d’enfans qui saute à son côté.
………………….

Oh ! qui dira la paix et le bonheur tranquille !
La maison reluisante et les baisers d’époux !
Les Pénates, au feu séchant leur corps d’argile,
Et l’essaim des valets, et le cercle immobile
Des aïeux, sur le seuil rongé du temps jaloux !

…………………...

Elles vivaient ainsi, les mères d’Étrurie,
Celles du Latium et du pays sabin,
Gardant comme un trésor, loin du tumulte humain,
Le travail, la pudeur, les dieux et la patrie !


Dans ces fortes et larges strophes, Bouilhet a vraiment ressaisi l’une des plus constantes et des plus nobles inspirations de l’ancienne société romaine : il a traduit toute la poésie de la gens. Celle de la cité ne lui est pas non plus restée étrangère. Oui ne se rappelle le beau poème du Berceau, très concis, et si puissant néanmoins, et ce raccourci vigoureux où, dans le groupe étroit formé par la louve et les deux jumeaux, le poète fait tenir toute la destinée de l’empire futur ?


Rome tressaille à ta mamelle,
L’avenir rugit sous tes flancs !


Les grands écrivains du siècle d’Auguste, poètes ou historiens, Virgile, Horace, Properce, Tite-Live, avoueraient cette glorieuse apothéose de la lupa Martia ; leur lointain disciple a bien su s’approprier la passion qui les animait tous, l’orgueil viril et confiant de l’impérialisme romain.

Quand on le voit exprimer avec tant d’énergie le respect de la famille et celui de la patrie, on ne peut s’empêcher de regretter qu’il ait laissé dans l’ombre un autre sentiment qui n’est pas moins latin, le respect des dieux. La religion, qui tenait tant de place dans la vie antique, n’en occupe aucune dans Melænis. Plus tard, Bouilhet semble s’être aperçu de cette lacune : il a médité, si l’on en croit Flaubert, divers ouvrages,