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poétiques ou romanesques, sur les païens du Ve siècle ; et il a écrit la Colombe. Ce poème, si émouvant, avec la description du temple en ruines et du vieux prêtre qui vient apporter


Sur le dernier autel la dernière hécatombe,


ce poème n’est pas, à la vérité, plus spécialement romain que grec ; c’est plutôt une évocation de tout le paganisme expirant ; c’est plus encore une méditation, pleine de recueillement, sur la décadence des religions successives. Tel qu’il est, il suffit à nous faire pressentir de quelle main, pieuse sans superstition et hardie sans sacrilège, Louis Bouilhet aurait pu toucher à ces majestueux et mélancoliques problèmes des religions antiques.

Le temps lui en a manqué, plus que le désir ou la claire aperception. Mais, si l’on s’en tient à ce qu’il a pu réaliser, son rôle, du point de vue où nous nous plaçons, est de ceux que l’on ne saurait oublier. Non seulement il a eu l’idée que l’antiquité latine pouvait être, tout aussi bien qu’une autre civilisation, matière de poésie ; mais de cette poésie, il a exprimé quelques aspects. Le décor bigarré, et, comme disent les peintres, « amusant, » des choses romaines, — çà et là, des traits de mœurs qui montrent au vif la corruption de l’époque impériale, — deux ou trois fois, un hommage solennel et pathétique à la grandeur morale de la vieille Rome, — voilà ce qu’il a su trouver dans l’étude, passionnément poursuivie, des textes latins : c’en est assez pour qu’il n’ait pas perdu sa peine.


II

Entre Louis Bouilhet, libre parnassien avant la lettre, et Leconte de Lisle, le chef et le maître de l’école, les ressemblances ne manquent pas, — ne fût-ce que leur commune idée d’une poésie fondée sur l’histoire des âges disparus, et leur commun respect de l’antiquité classique. Cependant une différence les sépare, importante pour l’étude que nous poursuivons ici, importante aussi, croyons-nous, par ce qu’elle nous révèle de leurs deux esprits. Louis Bouilhet, nous avons essayé de le montrer, était beaucoup plus latin que grec : c’est le contraire pour Leconte de Lisle. Il est superflu de redire tout ce qu’il