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à entendre que, pour lui, la religion et la poésie des Latins n’étaient que de pâles reflets de la religion et de la poésie des Hellènes : et qui donc perdrait son temps à épier le reflet quand il peut contempler la source de lumière ?

Avec un tel parti pris, il n’est pas surprenant que Leconte de Lisle n’ait pas emprunté beaucoup de thèmes aux œuvres et aux choses romaines. Les pièces suggérées par l’inspiration latine ne sont guère plus de quatre ou cinq, bien moins nombreuses que les poèmes « indous, » ou « grecs, » ; ou « médiévaux, » à peine plus que les pièces « écossaises » ou « persanes. » Ce sont des exceptions. Encore presque toutes sont-elles des chansons bucoliques, ou des descriptions, dont la couleur n’a rien de très déterminé, de très strictement local. L’Eglogue n’est latine que par les noms de ses personnages, Gallus et Cynthia, qui pourraient tout aussi bien s’appeler Ménalque et Amaryllis ; Fultus hyacintho n’est latin que par son titre, mais, en réalité, contient un tableau franchement grec par la fine précision et la beauté du relief ; Phidyle est sicilienne, grecque par conséquent encore ; et les Eolides éveillent le souvenir de Théocrite au moins autant que de Virgile. Restent les Études Latines, qui procèdent d’Horace, mais d’Horace pris justement là où il est le plus traducteur et imitateur des Grecs, le moins national de cœur, et où sa poésie exhale la moins forte odeur de terroir. Ce choix est donc significatif. A la littérature purement romaine, à l’épopée, au grand lyrisme patriotique ou religieux, Leconte de Lisle n’a rien pris ; il s’est contenté de retraduire Anacréon à travers Horace, et ses Études Latines sont encore des « Études Grecques. »

C’est ce que ferait encore mieux apparaître une confrontation attentive de ces poésies avec leurs modèles. Sans doute, il y aurait quelque pédantisme à rapprocher, vers par vers, le texte latin et la transcription française, quelque injustice aussi, puisque Leconte de Lisle a prétendu faire œuvre d’adaptateur et non de traducteur. Cependant, ù voir ce qu’il conserve et ce qu’il laisse tomber, on discerne sans peine les préférences et les répugnances de sa propre nature. Or, sur une vingtaine d’odes, trois ou quatre seulement correspondent avec une réelle fidélité à celles de l’auteur latin : l’hymne à Apollon et à Diane (qui, chez Horace lui-même, est exclusivement imprégné de mythologie hellénique) et les odelettes à Licymnie, à Glycère et à