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Lydé. Dans toutes les autres, on relèverait des omissions d’autant plus probantes qu’elles ne peuvent guère ne pas être volontaires. C’est, par exemple, le début de l’ode à Thaliarque, si pittoresque chez le poète romain, avec la vision du Soracte qui se dresse tout blanc d’une épaisse neige. C’est, dans les odes à Néère et à Lydie, les allusions aux guerres actuelles avec les Scythes, les Parthes ou les Cantabres. Leconte de Lisle paraît aussi un peu effarouché par le réalisme, familier ou brutal, qu’Horace garde jusqu’en ses vers lyriques : la Phidyle latine offrait aux dieux une truie en sacrifice ; celle de Leconte de Lisle ne leur apporte plus que de l’encens, des fruits et des bandelettes. À plus forte raison s’abstient-il de transcrire exactement les conseils d’Horace à la vieille Chloris (qu’il appelle du reste Pholoé par suite d’une étourderie) : Horace parle assez crûment à cette pauvre courtisane flétrie par l’âge ; il lui dit qu’elle n’en a pas pour longtemps, qu’elle n’est qu’une « petite vieille, » vetula, et que c’est fini de rire ; chez le poète français, cette image rude et déplaisante est voilée d’une grâce délicate, charmante d’ailleurs, mais bien moins franche :


L’âge vient : il t’effleure en son vol diligent,
Et mêle en tes cheveux semés de fils d’argent
Le pâle asphodèle à tes roses.


D’autre part, les conseils de sagesse, de modération, qu’Horace joint volontiers à ses exhortations amoureuses, disparaissent également (Phyllis) ; son affectation de joie sarcastique à se sentir guéri de l’amour pendant que d’autres en souffrent n’est pas rendue non plus ; et qui enfin reconnaîtrait, dans les « yeux pleins de langueur » de Néère, la « gaminerie délicieuse, » grata protervitas, que l’épicurien latin s’amusait à contempler ? Mais tout cela, cette ironie un peu mordante dans l’expression des choses de l’amour, ces préceptes de moraliste et ces trivialités de réaliste, c’est probablement ce qu’Horace avait ajouté aux odelettes érotiques des lyriques ioniens ou alexandrins ; c’est ce qu’il tenait de son pays et de sa race : il n’est donc pas indifférent de noter combien peu Leconte de Lisle a été séduit par ces côtés d’originalité nationale. A prendre ses Études Latines dans leur ensemble, on peut dire qu’il en a éliminé toute la peinture des sites romains, toutes les mentions des choses romaines, et tous les traits de