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caractère romain. De ces odes anacréontiques, qui elles-mêmes ne sont pas tout Horace, — qui à son tour n’est pas toute la poésie latine, — il ne donne donc qu’une image incomplète et atténuée, une image plus élégante et plus fine, plus « attique » que nature.

Est-ce à dire que l’influence latine ne se soit pas exercée sur lui ? Nous ne le pensons pas ; elle a, au contraire, été très réelle, à condition qu’on la cherche, non dans les œuvres imitées, dans les thèmes empruntés, mais dans certaines tendances de style et habitudes de facture. On la trouvera alors, non seulement dans les Etudes Latines, mais dans tous les Poèmes Antiques, et peut-être même dans toute l’œuvre de Leconte de Lisle. Cette poésie ferme et forte, un peu dure, un peu roide aussi, cette poésie savante et volontaire, où l’art réfléchi se révèle toujours, et où l’effort se trahit quelquefois, a plus d’affinités avec Rome qu’avec la Grèce : les vrais Hellènes ont plus d’aisance et de souplesse, plus de cette fluidité souriante qui manque assez souvent à l’auteur de Niobé et de Quaïn. Ses vers pleins et précis, ses strophes au contour vigoureusement arrêté, sont d’un homme qui a dû pratiquer dans sa jeunesse Virgile et Horace, Lucain et Juvénal, et qui s’en est souvenu même lorsque sa foi littéraire lui a fait préférer Homère ou Eschyle. Et cela n’a rien d’étonnant. Chacun de nous, alors qu’il croit suivre une doctrine librement choisie, reste malgré lui l’esclave des premières œuvres qui lui ont révélé la beauté. La contradiction n’est donc qu’apparente entre les faits que nous avons observés dans les poèmes de Leconte de Lisle et le caractère général que nous avons cru reconnaître dans son art : disciple avoué, panégyriste enthousiaste, imitateur résolu des Grecs, il a été pourtant aussi le continuateur inconscient des Latins.


III

Cette contradiction ne se retrouve pas chez le plus fidèle et le plus habile de ses disciples, José-Maria de Heredia. Lui aussi a une allure de style qui n’est pas sans rappeler l’art littéraire romain : si l’on nous disait que c’est en lisant beaucoup de vers latins, en en faisant aussi sans doute, qu’il s’est créé cette forme pleine et concise, nous n’en serions pas autrement surpris.