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alanguissantes des classes raffinées. Sommes-nous séduits par les grands souvenirs historiques, par l’inégalable épopée de la conquête universelle ? Deux des épisodes les plus frappans en revivront à nos yeux, la guerre punique dans La Trebbia et Après Cannes, la dernière guerre civile dans le triptyque d’Antoine et Cléopâtre. Mais il ne faut pas que la prestigieuse majesté de la Ville Eternelle nous fasse oublier les peuples si variés qui s’abritent sous l’autorité de l’Empire : les Sonnets épigraphiques, issus d’une promenade aux Pyrénées, nous remettront en mémoire tous ceux qu’autrefois ces montagnes virent passer, Garumnes à demi romanisés ou Romains en exil, Hunnu, fils d’Ulohox, l’esclave fugitif Geminus, et la « triste Sabinula. » De toutes les parties de la société latine, il n’en est pour ainsi dire pas une sur laquelle le poète ne jette au moins un rapide coup d’œil.

Rapide, mais décisif et pénétrant. Son désir de tout voir n’exclut pas le souci d’approfondir. L’image qu’il donne des choses romaines en ses brèves évocations ne peut sembler superficielle qu’à des lecteurs superficiels eux-mêmes ; elle nous parait au contraire posséder deux qualités qui vont rarement ensemble, mais qui, lorsqu’elles s’unissent comme ici, se font réciproquement valoir : d’un côté, la précision technique des détails matériels, d’autre part, l’intelligence de ce qui est essentiel et fondamental. La peinture tracée dans Villula, par exemple, est très latine par les particularités extérieures, par le lieu, le site, la faune ou la flore, mais, — et nous avouons que ceci nous intéresse davantage, — elle est latine aussi par l’âme. Ce vieux paysan qui se contente de son étroite maisonnette héréditaire et de son petit bois, joyeux de brûler un ou deux fagots tous les hivers et de manger quelques grives l’été, attaché profondément à la terre qui l’a vu naître, sans poésie, sans rêve, sans grand idéal, mais sans regrets stériles, c’est un type d’humanité fréquent jadis, dont la sagesse un peu courte n’a été ni sans utilité, ni sans mérite : les deux sentimens primordiaux qui le composent, modération et fidélité à la tradition, ont été maintes fois exaltés par les poètes de Rome, et le talent de l’auteur est de les faire apercevoir tout entiers, reflétés par cette petite destinée individuelle, comme tout le ciel se reflète dans une goutte d’eau. Pareillement, dans Hortorum deus, Heredia multiplie les traits spéciaux et locaux : il énumère les fruits