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églises retentissaient des prières qu’on adressait à Dieu pour détourner leur venue ; et on voyait les images sacrées des madones remuer les yeux, annonçant des miracles. Mais les miracles ne s’étaient pas produits ; les troupes pontificales avaient fui dès qu’elles avaient aperçu l’ennemi. Les Français arrivent ; les Français sont à Lorette, où ils pillent le trésor sacré ; les Français montent à Recanati.

C’est Monaldo lui-même, le père de Giacomo, qui doit les recevoir comme représentant de la municipalité, satisfaire à leurs exigences, trouver pour eux des vivres et trouver de l’argent. Il pourrait voir passer, traversant au galop de son cheval la longue rue tortueuse de la petite ville, le général en chef Bonaparte, s’il ne s’abstenait par dédain de montrer même de la curiosité envers un tel brigand. Ces pillards, qui vident sa bourse, menacent sa vie. Car après l’établissement de la République romaine, des insurgés qui battent la campagne s’emparent de Recanati et nomment Monaldo gouverneur : si bien qu’au retour des Français, il est condamné à mort, obligé de s’enfuir et de se tenir caché. Absous, il revient : on veut brûler sa maison. On épargne sa maison : mais on exige de lui une forte indemnité de guerre ; et comme il ne se hâte point, on l’arrête. Que d’émotions ! Et quelle haine contre les envahisseurs ! Quelle joie, lorsque, à la fin de 1799, les Autrichiens rétablissent l’ordre ! La joie est brève : voici de nouveau les Français ; à la première conquête, hâtive et provisoire, succède un établissement régulier et durable : Monaldo se retire en sa demeure et refuse de prendre part aux affaires publiques jusqu’à la chute de Napoléon.

Mais en vérité, pendant les premières années, les enfans ne se préoccupent guère des réalités extérieures. Lorsqu’ils se sont familiarisés avec leur entourage immédiat, dont ils font d’abord la découverte et ensuite l’inventaire, leur imagination prend tout d’un coup l’essor, et les voilà en plein rêve. Ils ne sont pas sensibles à ce que les hommes appellent des nouveautés, puisque tout leur est sujet d’étonnement. Peu leur importe qu’il y ait autour d’eux la guerre ou la paix, puisqu’ils suivent passionnément le combat éternel des géans et des fées. Les péripéties des drames qu’ils inventent sont autrement palpitantes, et leur semblent autrement vraies, que les nouvelles du dehors ! Sans doute Giacomo éprouva, dès qu’il s’éveilla à la vie consciente,