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l’entendre sans se trouver mal. Il était avide de beauté ; un jour qu’il se trouvait dans un cercle de dames, après avoir contemplé tous les visages, il déclarait avec mépris « qu’il n’y avait pas seulement là une figure sur laquelle on pût reposer les yeux. » Il n’avait pas encore huit ans. Les conversations triviales des domestiques le mettaient hors de lui, et il quittait la place plutôt que de les entendre. Il se passionnait pour les histoires, les belles histoires que les enfans suivent des yeux dans le monde de l’invisible ; et il ennuyait les grandes personnes pour qu’on lui en racontât ; ou bien il en cherchait lui-même dans les livres, car il sut lire de très bonne heure, et de très bonne heure aima la lecture. Son imagination travaillait ; il en composait d’autres, à profusion, qu’il disait à son frère Carlo le soir, à l’heure où les parens croient leurs fils endormis, ou bien le matin en s’éveillant. Elles duraient pendant plusieurs jours, parfois pendant plusieurs semaines, à la façon des romans qu’il inventait comme Pascal inventait la géométrie. Les personnages n’en étaient pas fantastiques ; ce n’étaient même pas les animaux de la fable, le renard rusé ou le chien bon enfant : mais de petites caricatures, qui devaient leurs élémens à l’observation du réel. Tous les gens de la maison et de la famille y passaient : le tyran Amostante, Monaldo ; Lelio la tête dure, qui comprend péniblement et retient mal, qui se montre gauche et maladroit dans toutes les circonstances de la vie : Carlo ; et Filzero le beau parleur, que rien n’embarrasse, qui se jette à dessein dans les situations les plus difficiles pour avoir la gloire d’en sortir à son honneur, le héros qui bat tout le monde sans se laisser battre par personne : Giacomo.

Et sa mère ? Nous voudrions voir ici quelque douce figure, qui sortît peu à peu de la pénombre pour illuminer cet horizon d’enfant. Nous nous rappelons ce que tant de grands poètes doivent à leur mère ; en quels termes un Hugo a loué la sienne ; quels mots tendres un éternel railleur, comme Heine, a su trouver pour parler de la bonne créature qui l’attendait fidèlement à son foyer. Nous nous rappelons Juliette Manzoni dirigeant l’éducation de son fils : comment elle apporte dans sa vie, avec la tendresse et le charme nécessaires aux jeunes âmes avides d’aimer, le culte du beau et celui du vrai ; comment elle veut partager avec lui tous ses plaisirs et toutes ses peines, et comment elle l’appelle à Paris, parce qu’elle est malheureuse quand