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ils ne respirent pas ensemble le même air. Est-il besoin même de parler de ceux qui furent illustres ? S’il n’est personne qui ne songe avec émotion à celle qui le berça, c’est par une sorte de reconnaissance que nous voudrions louer, dans la première enfance de Giacomo Leopardi, l’influence d’une mère. — Or Adélaïde Antici était une maîtresse femme, qui ne s’amusait pas aux niaiseries du sentiment. Elle avait autre chose à faire. Elle s’était aperçue, au bout de peu d’années de mariage, que Monaldo était un piètre administrateur, et que, s’il continuait à régir ses biens de la sorte, la misère menacerait. Libre de sa fortune à dix-huit ans, il avait commencé tout de suite à la gaspiller, par vanité, pour faire le grand seigneur ; les événemens de la Révolution l’avaient encore réduite : maintenant, la spéculation achevait de la dissiper. Il s’était avisé, en effet, de risquer un grand coup sur les grains : et les grains avaient baissé, au moment précis où ils devaient monter. Puis, il s’était agi de bonifier la campagne romaine : mais les colons étaient morts à la peine ; et de tout l’argent avancé par Monaldo dans l’entreprise, rien n’était resté. Alors Adélaïde Antici prit le gouvernement de la maison. Elle força son mari à subir une sorte de conseil judiciaire ; à remettre ses pouvoirs aux mains d’un administrateur ; à abdiquer : et elle régna.

Elle régna pour reconstituer la fortune des Leopardi ; ce fut sa tâche. Tous durent se plier à son autorité despotique. Monaldo, dont le plus grand défaut peut-être était l’orgueil, trembla devant sa femme. Il avait une tendance naturelle à croire qu’il avait toujours raison : il n’osa plus avoir raison avec elle, et se contenta de marquer son pouvoir sur ses enfans, en second. Ceux-ci ne reçurent jamais de leur mère une caresse ou un sourire. Ils ne trouvaient cette atmosphère de bonté, qui seule leur permet de respirer à l’aise, que lorsqu’ils se rendaient chez leur grand’mère, avant le repos du soir. Ils arrivaient, bruyans et joyeux, dans l’appartement qui lui était réservé ; ils lui sautaient au cou, impatiens d’épancher leur tendresse ; et la vieille dame faisait taire son vieux cavalier servant, fidèle à lui rendre ses devoirs, pour donner raison à ses petits-enfans. Lorsqu’elle mourut, ce fut tout ; ils n’eurent plus personne pour être chéris. Adélaïde Antici avait organisé sa maison comme un couvent. Par raison d’économie, plus de fêtes, ni de distractions : les plus légitimes lui parurent superflues. Seules, les