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cérémonies de l’Église furent considérées comme des divertissemens permis. Elle était la froideur et l’austérité mêmes ; elle se persuadait que les expansions du sentiment sont coupables, parce qu’il ne faut pas accorder aux créatures une part de l’affection qui doit revenir tout entière à Dieu. Son pouvoir accru, l’âpreté de l’épargne, la lutte entreprise pour désintéresser péniblement la foule des créanciers, la fierté même de la victoire, accentuèrent les défauts naturels de son caractère : de vigilante, elle devint tracassière ; et de sévère, rude. Femme irréprochable, femme admirable à sa façon, qui se proposa un devoir à remplir et n’eut jamais un instant de lassitude ou de faiblesse ! Mais femme redoutable aussi, contre laquelle s’élève le triple témoignage de son mari, de sa fille et de son fils ! De son mari, lorsque Monaldo, rappelant ses souvenirs, songe avec mélancolie qu’il l’a épousée contre le gré de ses parens, et que Dieu l’en a puni :


Le Seigneur, dans l’amplitude de sa miséricorde, ne pouvait m’accorder une compagne plus sage, affectueuse et pieuse, que cette bonne épouse. Vingt-six années de mariage déjà écoulées n’ont pas démenti un seul instant sa conduite irréprochable et admirée de tous ; et cette femme forte, appliquée uniquement aux devoirs et aux charges de son état, n’a jamais connu d’autre volonté, d’autres plaisirs ou d’autres intérêts que ceux de sa famille et de Dieu. Les obligations que je professe lui avoir sont innombrables, comme est illimitée l’affection que je ressens pour elle ; et son entrée dans ma famille a été une vraie bénédiction. Donc, aurais-je eu le bonheur de me soustraire à la main qui châtie visiblement tous les fils qui offensent leurs parens, et se marient contre leur avis ? Non, non. Je restai inexorable aux larmes que ma chère mère versa à mes pieds, et j’en suis puni terriblement. Les traits des vengeances divines sont inépuisables, et tremblent les fils qui ont l’audace de les provoquer ! Le naturel et le caractère de ma femme, et mon naturel et mon caractère, sont aussi différens que le ciel et la terre sont loin l’un de l’autre. Celui qui est marié connaît la valeur de cette circonstance, et que celui qui ne l’est pas ait bien soin de n’en pas faire l’épreuve !


De sa fille, dans sa correspondance avec une de ses amies :


Maman est une personne ultra rigoriste, un excès véritable de perfection chrétienne ; vous ne pouvez imaginer la dose de sévérité qu’elle met dans tous les détails de la vie domestique. C’est vraiment une femme excellente, et très exemplaire ; mais elle s’est fait des règles d’austérité absolument impraticables...

On n’en peut plus, on n’en peut plus. Je souhaite que vous veniez seulement passer un jour chez moi, pour voir comment on peut vivre sans vie, sans âme, sans corps.