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De Giacomo, dans ses Pensées :


... J’ai connu intimement une mère de famille qui n’était pas du tout superstitieuse, mais très ferme et très exacte dans La foi chrétienne et dans les exercices de la religion. Non seulement elle n’avait pas de compassion pour les parens qui perdaient leurs enfans en bas âge, mais elle les enviait intimement et sincèrement, parce qu’ils s’étaient envolés au paradis sans danger, el avaient délivré les parens de l’embarras de les élever. Se trouvant plusieurs fois en danger de perdre ses fils à cet âge-là, elle ne priait pas Dieu de les faire mourir, parce que la religion ne le permet pas ; mais elle jouissait du fond du cœur ; et voyant son mari pleurer ou s’affliger, elle se repliait sur elle-même, et éprouvait un déplaisir sincère et sensible. Elle était très ponctuelle dans les services qu’elle rendait à ces pauvres malades ; mais au fond de son âme, elle désirait que ces soins fussent inutiles ; et elle en vint à confesser que la seule crainte qu’elle éprouvât en interrogeant et en consultant des médecins, était de recevoir d’eux des avis d’amélioration. En voyant chez ces malades quelque signe de mort prochaine, elle ressentait une joie profonde, qu’elle s’efforçait de dissimuler seulement aux yeux de ceux qui la condamnaient ; et le jour de leur mort, s’il arrivait, était pour elle un jour de gaîté et de joie ; et elle ne pouvait comprendre pourquoi son mari était assez peu sage pour s’affliger... (Pensieri, I, p. 411.)


C’est sons cette impression que se termine la première enfance de Giacomo Leopardi. La nature lui donne une âme sensible à l’excès, une imagination avide de s’exercer, une intelligence vive et forte, dont on ne rencontre guère d’exemple chez les enfans de son âge. Mais la jeune plante humaine, si précoce et déjà si exquise, aurait besoin d’être cultivée avec amour. Il faudrait autour d’elle beaucoup de tendresse et de bonté ; elle veut des soins éclairés el affectueux ; elle ne les trouve pas. Elle va s’étioler et se déformer, dans un milieu qui n’est pas fait pour elle, moins heureuse même que ces pousses sauvages qui croissent sans contrainte au libre vent du ciel.


II

Le voici installé, comme à demeure, dans la bibliothèque. Elle fait l’orgueil de Monaldo, qui l’a fondée, et qui l’accroît tous les jours. Il raconte lui-même dans cette curieuse Autobiographie où il a versé toutes ses confidences, qu’il eut de bonne heure la passion des livres ; qu’il acheta d’abord, pêle-mêle, et