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connaissent pas ; de comprendre les doctrines les plus arides, exprimées quelquefois dans les langues les plus barbares ; et d’ordonner enfin l’amas de cette matière confuse en un exposé qui devienne accessible à tous. Il passe du sacré au profane des rhéteurs aux Pères de l’Eglise ; il ne quitte Julius Sextus Africanus que pour Marcus Cornélius Fronton. Lorsqu’on apprend, en effet, que l’illustre Mai vient de découvrir les œuvres de Fronton sur un palimpseste, il est le premier à les traduire, avec un discours sur la vie et sur les œuvres de l’auteur ressuscité ; lorsque ce même Angelo Mai publie les fragmens de Denys d’Halicarnasse, il est le premier à les traduire encore : et sa science se trouve assez prête et assez sûre, pour en remontrer à celui même qui les a trouvés. Devant tant de preuves d’une érudition prodigieuse, on reste confondu ; et à l’admiration qu’on éprouve se mêle un sentiment d’effroi.

Car la nature, dont il semblait ainsi violer les lois, devait lui rappeler sa puissance. Elle se vengeait sur son corps du développement paradoxal de son esprit. Elle l’épuisait par la fatigue. De l’enfant joyeux, qui aimait à s’ébattre dans le grand jardin, elle faisait peu à peu un adolescent pâle, malingre et chétif. Elle transformait en maladie l’effort exaspéré de ces nerfs toujours tendus par l’attention. Elle le condamnait irrémédiablement à une vie misérable, et telle, qu’il devait se croire à tout moment près de la mort. Elle n’arrêtait pas là son travail, elle compliquait, elle raffinait son œuvre de déchéance par l’ironie. Il lui plaisait de tenir courbé pour toujours celui qui se penchait ainsi sur les livres ; et de Giacomo Leopardi, l’enfant prodige, elle faisait un bossu.

Lui-même ne s’apercevait pas des progrès du mal. Celui qui aurait eu le devoir de veiller pour son fils semblait fermer les yeux. Ce fut au point que l’oncle de Giacomo, l’oncle installé à Rome, auquel il avait été si heureux d’adresser sa première lettre en grec, crut devoir présenter à Monaldo des remontrances. « Permettez-moi, lui écrivait Carlo Antici le 15 juillet 1813, de vous faire part de mes appréhensions au sujet de la santé de votre fils. Ne savez-vous pas que l’étude excessive use la vie, surtout quand on s’y livre en pleine adolescence ? Passe encore si Giacomo donnait quelque trêve à cette application qui l’épuise, en pratiquant les exercices physiques ! Mais quand je sais que son profond labeur n’a d’autre distraction que les