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cérémonies sédentaires de l’Église, je tremble à l’idée que vous avez un fils, et moi un neveu, qui possède une âme forte dans un corps frêle. Rappelez-vous le proverbe : Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort. En outre, les progrès merveilleux qu’il fait dans toutes les sciences vous conseillent de le placer dans un milieu digne de lui ; il faut qu’il trouve des maîtres capables de lui fournir la nourriture intellectuelle que son esprit réclame. Envoyez-le à Rome, maîtresse de tout savoir, reine du monde ! Je le prendrai chez moi, et vous n’aurez même pas à redouter la dépense... » Monaldo répond que ces critiques sont justes, et que ces conseils sont sages. Mais quoi ? Il n’a pas le courage de se séparer de son fils ; ce serait pour lui un trop pénible sacrifice. Qu’on laisse passer le temps, qui peut-être fournira un jour les résolutions opportunes ; et que Giacomo continue à vivre tranquille dans le pays où la Providence l’a placé. — L’oncle revient à la charge ; le père lui oppose un nouveau refus. Et le mal est irréparable.

C’est vers 1815 qu’il faut placer le terme de cette seconde enfance. C’est bien une enfance encore ; des habitudes plus que des volontés ; des influences subies, plutôt que des directions librement choisies ; un esprit qui ne connaît pas sa propre nature, et se trompe sur sa véritable vocation. L’homme est si loin de sa forme définitive, que de tous les traits qu’on distingue maintenant dans son caractère, il semble que pas un ne doive demeurer. Leopardi, qui, quelques années plus tard, niera la Providence et reprochera à l’Être suprême d’avoir mis au monde des créatures pour le plaisir de les torturer, écrit son Essai sur les erreurs populaires des anciens pour prouver qu’il n’y a point de salut hors la foi. « O religion très aimable ! » s’écrie-t-il en manière de conclusion, « j’ose dire qu’il n’a pas de cœur ; qu’il ne sent pas les doux frémissemens d’un amour tendre qui satisfait et ravit ; qu’il ne connaît pas l’extase dans laquelle jette une méditation suave et touchante, celui qui ne t’aime pas avec transport, celui qui n’est pas entraîné vers l’objet ineffable du culte que tu enseignes. Apparaissant dans la nuit de l’ignorance, tu as foudroyé l’erreur, tu as assuré à la religion et à la vérité une position qu’elles ne perdront jamais. Tu vivras toujours, et l’erreur ne vivra jamais avec toi. Quand elle nous attaquera, quand, nous couvrant les yeux de sa main ténébreuse, elle menacera de nous précipiter dans les