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abîmes obscurs que l’ignorance ouvre devant nos pas, nous nous tournerons vers toi, et nous trouverons la vérité sous ton manteau. L’erreur fuira comme le loup de la montagne poursuivi par le pasteur, et ta main nous conduira vers le salut... » C’est le style des sermons qu’il écoute pieusement ; celui des discours qu’il prononce lui-même à la Congrégation des nobles. L’habit ecclésiastique qui bientôt sera insupportable à ses épaules, ne lui pèse pas ; il en a été revêtu dès sa plus tendre jeunesse, suivant la coutume italienne ; s’il aspire à un changement, c’est avec l’espérance que le noir deviendra violet quelque jour, et peut-être même rouge ; il continuera la tradition des grands prélats savans, qui unissaient le culte des lettres à l’amour de Dieu. — Leopardi, qui en 1817 jettera le grand cri de patriotisme qui s’appelle la canzone All’ Italia, est en 1815 nettement opposé à l’unité. Après l’échec de la tentative de Murat, il éprouve le besoin d’écrire un discours, où il flétrit ce Français brouillon qui a prétendu faire de l’Italie une nation. Les différens Etats de la péninsule sont en réalité les plus heureux du monde, sous le gouvernement paternel de princes éclairés : qu’ils restent comme ils sont. Il est impossible de les réunir, d’abord ; et quand l’union serait possible, elle serait inutile, voire dangereuse : car qui, après tant de troubles, voudrait payer par de nouvelles guerres la vaine satisfaction de voir renaître le nom de patrie ? — Leopardi, qui sera le philosophe du pessimisme, n’est encore ni philosophe, ni pessimiste. C’est un érudit, qui songe complaisamment à la carrière glorieuse ouverte devant lui, et qui se trouve heureux dans le présent, parce qu’il le considère comme une simple préparation aux félicités du lendemain : « Le bonheur suprême que l’homme peut atteindre en ce monde, c’est quand il vit tranquillement dans son état, avec une espérance calme et certaine d’un avenir beaucoup meilleur. Car comme cette espérance est certaine, et comme l’état dans lequel il vit est bon, il n’est ni agité ni troublé par l’impatience de jouir de ce futur si beau qu’il imagine. Cet état divin, je l’ai goûté à seize et à dix-sept ans, pendant quelques mois, par intervalles : je me trouvais tranquillement occupé dans mes études, sans aucun dérangement, avec l’espérance certaine et tranquille d’un très joyeux avenir... » (Pensieri, I, 187.)

Prenons-y garde pourtant : ces sentimens, pour être les