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pendant ces années de philologie. Au moment où il est le plus occupé à faire œuvre de science, le voilà qui tombe en admiration devant Virgile ou Horace qu’il cite. Impossible de s’y tromper ; celui qui a écrit dans son enfance tant de sonnets et d’odes, qui a pris un si vif plaisir à jouer avec les difficultés du métier, n’oubliera jamais les Muses. Sa production aura peut-être perdu son caractère de spontanéité : .mais peut-être aussi sera-t-elle plus belle et plus rare, pour être moins facile. — Par la même nécessité logique, il faut encore qu’il sorte de son milieu ; il voudra, pour la conquête de la gloire, de plus vastes champs ; il brûlera de paraître sur l’immense scène du monde. Recanati ne lui suffira plus. Qu’on le retienne alors ; qu’on le condamne à rester emprisonné dans une ville minuscule, presque un village, loin de la foule que, dans ses rêves, il voit en train de couronner le génie : on fera de lui un malheureux d’abord, ensuite un révolté. — Et puis, tout ceci dit, reste sa difformité physique, qui est l’essentiel. Son âme découvrira bientôt son corps, son pauvre corps disgracié. Elle s’étonnera de sentir derrière elle ce lourd fardeau de misère ; elle sera forcée d’interrompre son vol ; appesantie, entravée, elle pleurera en même temps la réalité de son malheur et ses illusions déçues. Le moment de la révélation, qui transformera la douleur latente en désespoir éclatant, ne peut pas ne pas venir.

Ainsi tout se mêle et se confond : ce qui n’est plus tout à fait lui-même ; et ce qui n’est pas encore tout à fait lui. Pour que sa personnalité achève de se dégager, des temps d’épreuve sont nécessaires : les voici.


III

Deux années suffisent pour précipiter la crise, de 1815 à 1817. Lorsque le long travail silencieux d’un esprit qui mûrit touche à son terme, on voit une activité presque fiévreuse se manifester ; les événemens extérieurs eux-mêmes arrivent à point nommé, comme pour donner à la poussée intérieure l’occasion de se produire. Tout était prêt ; tout aboutit.

Giacomo Leopardi est surpris, en s’analysant, de constater qu’il redevient sensible à la beauté formelle ; c’est ce qu’il