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appelle lui-même sa conversion littéraire. Eh quoi ! il a pu négliger Homère, Virgile, Dante, et les mépriser même ? Il a pu écrire, sans être choqué, dans une langue pleine de lourdeurs, d’impropriétés, de gallicismes ? Il s’est complu dans la société d’auteurs barbares ? Faute grave, qu’il importe de réparer ! Il reprend en main les grands classiques, et se met à les traduire pour lutter avec eux ; il s’attaque au premier livre de l’Odyssée, au second de l’Enéide, à Hésiode ; il revoit ses brouillons, corrige, rature, peine, écolier laborieux qui veut faire des progrès. Non point qu’il dédaigne tout d’un coup l’érudition : c’est l’érudit, au contraire, qui compose de toutes pièces un hymne grec à Neptune, et le donne comme retrouvé dans un manuscrit ancien ; c’est l’érudit qui jouit pleinement du succès de cette innocente et pédante supercherie : tout le monde savant est en émoi. Mais, précisément, cette complexité même est curieuse ; tantôt ses préoccupations anciennes, et tantôt ses tendances nouvelles l’emportent ; on aime à saisir l’effort qu’il fait pour se dégager. Il se dégage si bien, qu’il passe d’un défaut à un autre, pire : de la négligence à l’affectation. Il est curieux des mots plus que des idées ; puriste, il écrit comme Cesari, le grand maître de l’école, qui se faisait fort d’exprimer toutes les pensées modernes dans la langue du XIVe siècle ; il compose des sonnets qui sont un pastiche du vieux dialecte toscan ; il n’a plus seulement le culte du vocabulaire pré-classique, il en a la superstition. Ce serait presque un danger, si nous ne savions que de tels excès ne sont jamais graves ni durables chez les grands esprits.

De même que sa conscience littéraire se transforme, de même sa vie morale s’inquiète et se trouble. Tout d’un coup, c’en est fait de la belle tranquillité dans laquelle il avait vécu. Il est saisi par l’idée qu’il va mourir, peut-être aujourd’hui, peut-être demain, à coup sûr dans un avenir très rapproché. Cette crainte maladive, qui s’explique assez par son état physique, s’empare de lui tout entier et ne lui laisse plus de trêve. Et comme il devient auteur, comme il se met à trouver dans ses sentimens, même les plus intimes et les plus profonds, matière à littérature, il éprouve le besoin de traduire en poésie cette anxiété. Il écrit au début de 1816 une idylle, Les Souvenirs ; et vers la fin de la même année, un poème en cinq chants, L’Approche de la mort. L’idylle subit l’influence de Gessner,