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qui n’avait pas encore cessé de faire les délices de l’Italie, comme celles de toute l’Europe : c’est l’histoire d’un pauvre paysan, qui a perdu son fils à la fleur de l’âge : l’enfant est mort, tandis que le père courait à la ville pour chercher des remèdes. Le poème subit l’influence de Monti, prince des poètes alors vivans, qui vient de remettre à la mode les visions dantesques. Dans une lande déserte, après un orage qui a bouleversé toute la nature, Leopardi voit apparaître un ange descendu du ciel. Il lui montre le défilé des âmes coupables, que l’Amour, l’Avarice, l’Erreur, la Guerre, ont conduites à leur perte. Puis la scène change ; il lui fait admirer maintenant le séjour des justes, que le Christ et la Vierge illuminent de leur présence. Il y a là trop d’artifice, le lecteur sent vite le procédé, et se lasse. Mais la pièce serait mauvaise tout entière, qu’elle ne laisserait pas d’avoir une importance capitale, puisqu’elle marque l’avènement de Leopardi au lyrisme. Or une partie au moins en est excellente, la dernière, celle où il oublie l’exemple trop frappant d’un maître trop admiré pour parler en toute abondance de cœur. « La flamme de la vie languit dans ma poitrine ; je vais, les lèvres muettes et le visage blême : avant d’avoir vu vingt fois la neige couvrir mon toit, vingt fois les hirondelles faire leur nid, je suis condamné à la mort. Et je pleure sur la brièveté de mon destin. Je regardais l’avenir, et, souriant, j’attendais la renommée. Car la nature ne m’a pas donné un esprit misérable ; tout enfant que je suis, je connais mes forces ; j’ai des ailes sûres pour voler. Je suis poète ; je brûle, je frémis, je désire, je sens en moi l’ardeur de la poésie divine. Hélas ! mon nom mourra. Je mourrai comme si je n’étais jamais né ; et le monde ne saura même pas que j’étais dans le monde. Je mourrai sans laisser plus de traces qu’un souffle sur l’eau. O chères muses, ô douces études, adieu ! Et toi aussi, adieu, ô gloire ! C’est pour toi que j’ai travaillé et peiné ; c’est toi seule que j’aurais recherchée au monde. Mais je ne t’ai pas possédée ; et je ne te posséderai pas... »

Cependant, vers la même époque, une occasion de la saisir venait de se présenter : voici qu’en 1816 encore des communications s’établissent entre le monde et lui. On sait l’effort qui fut tenté à Milan au moment de la réaction autrichienne. Dans la capitale lombarde s’était réfugiée la pensée de toute l’Italie. Faute de pouvoir agir, on écrivait ; faute de parler politique,