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Paris, Montaigne y était aussi ; elle lui demanda audience, elle le vit. A partir de ce moment sa vocation était décidée ; elle était sa future veuve.

Elle lui plut beaucoup. Il lui rendit sa visite à Gournay-sur-Aronde, où il séjourna quelques mois avec Mlle de Gournay et sa mère. Depuis ce moment, elle fut sa « fille d’élection. » Elle publia un petit recueil de Souvenirs de ce séjour de Montaigne à Gournay sous le titre de Proumenoir de M. de Montaigne. Elle s’arrangeait déjà pour que du nom de Montaigne le nom de Gournay fût inséparable.

Elle eut, par la suite, des amis presque aussi illustres, entre autres le savant Juste Lipse qui l’estimait fort, qui l’admirait même et qui disait d’elle, ne souriant qu’à demi : Videamus quid sit paritura ista virgo. Mais rien n’égalait, bien entendu, dans l’âme de Mlle de Gournay, l’ami de La Boëtie.

Quand il mourut, son secrétaire, de Brach, sur l’ordre de Montaigne, envoya à Mlle de Gournay les papiers du défunt, et c’est de là que Mlle de Gournay a tiré l’édition de 1595. C’est dans cette première édition posthume que paraît pour la première fois, enchâssé dans les Essais (livre II, chapitre XVII, ad finem, après les mots « homme de guerre très expérimenté, » et avant les mots : « Les autres vertus ») un très bel éloge de Mlle de Gournay.

L’histoire de cet éloge est intéressante. Il parait en 1795 dans l’édition de Mlle de Gournay pour la première fois et sous cette forme : « J’ai pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’espérance que j’ai de Mlle de Gournay-le-Jars, ma fille d’alliance et certes aimée de moi beaucoup plus que paternellement et enveloppée en ma retraite et solitude comme l’une des meilleures parties de mon propre être ; je ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peut donner présage, cette âme sera quelque jour capable des plus belles choses, et entre autres de la perfection de cette très sainte amitié où nous ne lisons point que son sexe ait pu monter encore : la sincérité et la solidité de ses mœurs y sont déjà bastantes ; son affection vers moi plus que surabondante et telle en somme qu’il n’y a rien à souhaiter, sinon que l’appréhension qu’elle a de ma fin par les cinquante et cinq ans auxquels elle m’a rencontré la travaille moins cruellement. Le jugement qu’elle fait des premiers ESSAIS et femme et en ce siècle et si jeune et seule en son quartier, et la véhémence fameuse dont elle m’aima et me désira longtemps sur la seule