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les lettres de Condorcet et les brouillons de ses réponses. C’est dans les dernières années de sa vie, à l’époque où elle rédigeait l’Essai de Mémoires sur M. Suard, en réponse à l’ouvrage de Garat, qu’elle se livra à ce travail de copie et de classement. Elle y éprouva quelques difficultés. « Ces lettres sont sans date, remarque-t-elle, et j’ai pu en déplacer plusieurs. » Cette insouciance de Condorcet à l’égard de ce que la nouvelle Sorbonne appelle la « datation » des lettres, nous était déjà connue. Mlle de Lespinasse lui en faisait reproche : « D’abord, monsieur, vous avez tort de ne pas dater vos lettres. » Et il est vrai que Mme Suard, à si longue distance, s’y est parfois un peu embrouillée. Mais il est presque toujours possible de réparer l’erreur, soit grâce aux allusions faites à des événemens publics, soit par la comparaison avec la correspondance déjà publiée de Condorcet. Le 11 décembre 1771, Condorcet écrit à Turgot : « On m’a parlé d’un nouveau roman de Mme Riccoboni et des sottises de l’abbé de Voisenon. J’ai demandé le roman et même les sottises si elles sont courtes. » Or Mme Suard lui avait écrit : « Lisez-vous les romans ? Il me semble que vous devez les aimer. Il en paraît un de Mme Riccoboni que j’ai lu avec le plus grand plaisir ; je n’ai pu ni manger, ni m’habiller, ni dormir avant que de l’avoir fini... Vous savez sans doute toutes les vilaines petites sottises que vient de faire l’abbé de Voisenon. Je ne puis vous envoyer toutes ces petites vilainies, car il ne les a pas fait imprimer... » Ces rapprochemens sont continuels ; ainsi ces lettres se placent dans l’ensemble de la correspondance de Condorcet ; elles la complètent et l’éclairent.

Mlle Valentine Stapfer, héritière des papiers de Mme Suard, — et qui veille avec une piété admirable sur tes trésors de toute sorte que contient l’historique demeure de Talcy, — a bien voulu nous communiquer ces précieuses lettres. Nous en tirons la substance des pages qui vont suivre[1].


I

A l’époque où s’engage la correspondance. — avril 1771, — Condorcet a vingt-huit ans. Il est déjà célèbre. Des travaux remarquables l’ont fait entrer à l’Académie des Sciences dont il

  1. Toutes les citations pour lesquelles nous ne donnons pas d’indication de source sont extraites de cette correspondance.