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croira point malheureux par elle. » Au lieu de rester docilement éloigné par ordre, son avantage est de revenir en promettant tout ce qu’on voudra : ce sont promesses d’amoureux. On n’autorise que l’amitié ; mais l’amour à la Condorcet en a toutes les apparences : « Ne pourriez-vous lui montrer votre amour sous ce nom ? » Ce manège ne laissa pas de donner quelques résultats. Condorcet de retour à Paris fut mieux traité. Maintenant qu’elle n’avait plus, comme à Ablois, à redouter une importunité de tous les jours, Mme de Meulan redevenait la mondaine accueillante et souriante. D’ailleurs, la recherche d’un homme célèbre n’était pas sans flatter sa vanité et elle souhaitait ne pas écarter tout à fait un soupirant de cette qualité. L’heureux Condorcet ne manquait pas de reporter aux conseils de son alliée tout l’honneur de ses petits succès, et promettait de n’agir que par ses avis. Il lui communiquait les lettres qu’il envoyait, celles qu’il recevait. Soudain revinrent les mauvais jours. Ce furent des retours de froideur, des rendez-vous manques. Il aurait fallu jouer au plus fin et Condorcet s’affolait. Soufflé par Mme Suard, il s’était fâché : le lendemain, à la première heure, il écrivait pour demander pardon ! Mme Suard commençait à se lasser : « Si vous continuez, vous me ferez mal au cœur à force de faiblesse. Pourquoi avoir écrit ce matin ? Il fallait attendre. Vous aviez montré de l’humeur, j’aurais voulu savoir ce qu’elle aurait produit... » Avec un tel homme, aussi ingénieux à gâter ses affaires, ne valait-il pas mieux renoncer ?

Un « accident » vint brusquer le dénouement. Au mois de juillet, comme il était retourné à Ribemont, Condorcet reçut de Mme Suard la nouvelle que Mme de Meulan venait de faire une fausse couche, et d’ailleurs ne s’en portait pas plus mal. Son désespoir fut comique : « Je n’ai appris l’accident de Mme de Meulan qu’en même temps que sa sécurité. Vous êtes une amie charmante, vous seule avez pensé à m’en donner des nouvelles. Elle n’en a chargé personne. Je suis, comme vous voyez, loin de sa pensée, même quand elle souffre. Je lui pardonnerais davantage de m’oublier quand elle est heureuse. » La destinée est ironique, et ses voies sont obscures. Voilà Condorcet désabusé. Il avait tout accepté jusqu’ici ; mais il ne pardonne pas à Mme de Meulan d’avoir fait une fausse couche sans le prévenir !

L’important était de profiter de ce revirement inattendu. Mlle de Lespinasse rentre en scène avec impétuosité. Qu’il