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entre ces deux vierges la différence qui s’avère entre une matrone pieuse et riche, très fière d’occuper un prie-Dieu de son choix dans son église, et une sainte vivant de la vie contemplative dans un cloître. »

Quel en est l’auteur ? En 1902, M. Hulin revêtait Jacques Daret de toute la gloire du maître de Flémalle. Il soulignait les qualités narratives du peintre anonyme, son souci du récit pittoresque, sa manière de concevoir le retable, qu’il ne traitait plus comme une œuvre décorative en intime harmonie avec l’architecture, mais comme un objet meuble, un véritable tableau au sens moderne. Ces tendances et ces qualités, n’était-il pas naturel qu’on les rencontrât chez le dessinateur de cartons de tapisseries qu’était Jacques Daret, chez le décorateur qui inventa les subtiles merveilles des fêtes bourgeoises de 1468 ?... La démonstration parut convaincante, et toute la critique adopta l’hypothèse. Personne ne s’avisa d’y aller voir de près ; personne même ne tint compte de la distinction établie par Huysmans entre la Vierge de Somzée et celle de Francfort. En quoi la conception de cette dernière réclamait-elle le génie du récit pittoresque ? Sur ce point et sur les autres, la critique resta frappée de cécité. Jacques Daret devint illustre. Or voici que M. Hulin lui-même, avec une habileté supérieure et aussi un réel courage, défait soudainement ce qu’il avait échafaudé avec tant de peine[1]. Il croit avoir retrouvé de Jacques Daret une œuvre authentique qui décorait autrefois cette abbaye de Saint-Vaast, à Arras, en laquelle nous signalons plus haut la présence du peintre tournaisien. Commandée par l’abbé Jean du Clercq, l’œuvre se composait de plusieurs sujets et formait polyptyque. Quatre parties sont retrouvées : la Présentation au Temple (récemment encore chez les frères Duveen à Londres, aujourd’hui chez M. Pierpont Morgan), une Adoration des Mages, une Visitation (musée de Berlin) et une Adoration des Bergers (MM. Colnaghi, Londres), assez semblable à celle de Dijon, mais moins gracieuse. L’ensemble faisait l’orgueil de Jean du Clercq, abbé de Saint-Vaast, qui ne manquait point de montrer son retable aux princes et prélats passant par Arras. Et pourtant il n’y a plus ici qu’un reflet de l’art magistral du maître de Flémalle.

  1. An authentic work by Jaques Daret painted in 1434. Burlington Magazine, t. XV, p. 202 et suivantes. M. Hulin de Loo est revenu sur la question dans le Burlington de juin 1911 : Jacques Daret’s Nativity of our Lord.