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l’attendait la plus haute situation. Les échevins le nommèrent pourtraiteur de la ville, portrater der stad van Brussel, et lui confièrent l’exécution de grands tableaux de justice, — perdus hélas ! — qu’admirèrent Durer, van Mander, Guichardin et de nombreux voyageurs du XVIIe siècle. Dans la capitale brabançonne, Roger de le Pasture devint Roger van der Weyden, et l’on sait que c’est la traduction flamande de son nom qui répandit sa gloire. En 1450, maître Roger se rendit à Rome ; il était déjà connu en Italie ; en 1432, le Pape avait offert une de ses œuvres à Juan II, roi de Castille ; Alphonse d’Aragon possédait du grand tournaisien trois toiles représentant le Christ et, sa mère, le Christ aux outrages et la Flagellation, et laissant voir des Christs très différens d’expression, mais qui se ressemblaient physiquement à un cheveu près ; enfin Lionel d’Este faisait grand cas d’une œuvre de Roger figurant dans sa collection et qui nous est connue par un éloge lyrique de Cyriaque d’Ancône et une description assez précise de Barthélémy Facius. Roger s’arrêta à Ferrare en se rendant à Rome et il se pourrait que le portrait à l’huile du fameux marquis Lionel, retrouvé récemment, fût de notre maître tournaisien[1]. Barthélémy Facius nous apprend aussi qu’à Rome Rogerius Gallicus, insignis pictor, admira les fresques de Gentile da Fabriano alors existantes dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran et déclara que leur auteur était le plus grand des maîtres italiens. Le style de Gentile a sans doute agi sur celui de Roger ; en revanche, la manière du « portrater van Brussel » laissa des traces dans l’art de Filippo Mazzola, Gosima Tura, Bianchi Ferrari et de deux peintres cités par Cyriaque d’Ancône comme disciples de Roger, mais dont les œuvres ont disparu, Angelo de Sienne et Galasso. Revenu à Bruxelles, maître Roger ne fut point oublié par ses admirateurs italiens. Les Sforza lui envoyèrent le peintre Zanetto Bugatto, lequel séjourna pendant trois ans dans l’atelier de Roger ; après quoi, il s’en retourna à Milan et devint peintre de la Cour, non sans que Bianca Visconti eût par lettre autographe remercié Roger de la libéralité avec laquelle il avait appris son art au maître milanais. Princes, prélats et magistrats « belges » ne se montraient d’ailleurs pas moins enthousiastes du génie de van der Weyden. Tournai sans doute avait vu

  1. Voyez A portrait of Leonello d’Este by Roger van der Weyden, par Robert Fry. Burlington Magazine, janvier 1911.