Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandir avec orgueil son enfant, et quand maître Roger trépassa, ses confrères tournaisiens honorèrent sa mémoire d’une cérémonie spéciale. Il mourut à Bruxelles le 18 juin 1464 et fut enterré à Sainte-Gudule. Une messe pour le repos de son âme fut célébrée également à Tournai, et le compte de la corporation des peintres tournaisiens porte la mention : « Payet pour les chandelles qui furent mises devant saint Luc à cause du service de maître Rogier de le Pasture, natif de cheste ville de Tournay, lequel demoroit à Bruxelles, pour ce IIII gros et demi. »

Il est vrai qu’une grande incertitude règne autour des œuvres attribuées à Roger et la critique a dû enregistrer bien des mécomptes en essayant d’établir le catalogue du grand maître. Le chapitre van der Weyden s’est embelli récemment encore d’une mésaventure autour de laquelle les grands prêtres de l’archéologie quattrocentiste ont fait le silence. Il est au musée de Bruxelles un petit triptyque très précieux, l’un des joyaux de la salle des Primitifs, qui représente au centre la Crucifixion avec les donateurs, lesquels étaient, croyait-on, le duc François Sforza, sa femme Bianca Visconti et leur fils Galeas, agenouillés près de leur blason familial. Le retable en question fut tenu pour une œuvre appartenant au cycle van der Weyden (peut-être un Memlinc de jeunesse exécuté dans l’atelier de Roger) jusqu’au jour où M. Valeri publia les documens révélant que Zanetto avait étudié sous la direction de maître Roger, de 1460 à 1463. Il se trouva tout de suite un archéologue pour suggérer que ce « triptyque des Sforza » était peut-être bien l’œuvre de Zanetto, et un peu plus tard un autre archéologue pour affirmer que ledit Zanetto était sûrement l’auteur du précieux retable. Or voici qu’un savant milanais[1] nous démontre que les donateurs de ce triptyque ne sont pas les Sforza, et que le blason n’a rien de sforzesque. Dès lors messer Bugatto rentre dans l’ombre. On ne connaît de lui aucune œuvre authentique. Ce sont deux « documens » pourtant qui lui ont valu un instant de gloire. Avis aux historiens de l’art qui ne jurent que par les parchemins. Regardons les œuvres, au moins aussi bien que les textes. C’est l’importante leçon qu’on peut tirer de cet incident milano-flamand.

Sur quelles œuvres Roger a-t-il des droits sans conteste ?

  1. Lucas Beltrami, Il trittico detto degli Sforza. Corriere della Sera, 9 octobre 1910.