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Le retable de la Vierge et celui de saint Jean (musée de Berlin) avec leurs diverses scènes disposées dans des encadremens d’architecture, le retable des Sept Sacremens (musée d’Anvers) où le mysticisme et le réalisme flamands coexistent en si parfaite harmonie, — sont justement célèbres ; mais leurs titres peuvent craindre un examen sévère. Il se pourrait que l’éblouissant polyptyque de Beaune fût de plusieurs maîtres : Roger, Memlinc, Thierry Bouts. Le retable des rois Mages (pinacothèque de Munich), le triptyque de Pierre Bladelin (musée de Berlin), se défendent mieux que les trois premiers. Enfin si le dossier de la Descente de Croix de l’Escurial, — chef-d’œuvre tant de fois imité, — réserve des joies à certains hypercritiques toujours en quête de négation, le sublime de cette page unique suffit à rendre évidente son authenticité. Ici le Roger dramatique et lyrique, loué sur le mode le plus enthousiaste par les vieux annalistes, se proclame tout entier avec les nuances profondes de son génie et la ferveur ardente de son temps. L’œuvre présente des aspects de bas-relief ; les figures disposées d’une façon presque symétrique sont soumises au rythme le plus heureux. Ce n’est point la vérité réaliste des physionomies qui frappe, ni la disposition vivante ou pittoresque de la scène ; c’est le groupement idéal des personnages et la beauté spiritualiste de leurs expressions. Par là Roger de le Pasture se détache de Jean van Eyck et ressuscite le grand lyrisme du XIIIe siècle français. Point de violence dans ses figures, point de passion extérieure, mais une émotion contenue, d’autant plus émouvante : Sie trinken gewissermassen ihre Tränen in sich hinein, a dit justement un critique allemand[1]. Notre peinture du XVe siècle n’a point dépassé ces sommets. Il est naturel que Tournai ait enfanté un tel peintre. Entre toutes les villes pieuses des Pays-Bas, celle-ci se montra la plus croyante. « La grande procession de Tournai, instituée tout à la fin du XIe siècle, lors d’une peste qui désolait alors les rives de l’Escaut, fournit la manifestation la plus éclatante de l’ardente religiosité des Pays-Bas. Toutes les classes de la population, confondues dans un même élan de foi, suivirent nu-pieds la statue de la Vierge[2]. » Pour la construction de ses belles églises, Tournai possède au XIIe et au XIIIe siècle des maîtres maçons sans rivaux dans nos provinces.

  1. Karl Voll, Die altniederländische Malerei. Leipzig, 1906.
  2. Pirenne, Histoire de Belgique.