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Jean Gossart, dit Mabuse, occupe une place d’honneur à l’exposition des « Arts anciens du Hainaut ; » il la remplit dignement, grâce aux superbes pages envoyées par les musées de Bruxelles et de Tournai et par les collections Ch.-L. Cardon et von Kauffman. De cette dernière est venu le portrait de l’artiste, — signé, — honnête et sympathique visage, assez proche comme caractère de la tête de Prévost dessinée par Albert Durer. Les chroniqueurs du XVIe siècle ont prêté à Gossart quelques vices, dont l’ivrognerie était le moindre ; à les en croire, le grand maître wallon aurait empoisonné son jeune confrère Lucas de Leyde qu’il jalousait ! Il n’y a rien de plus crédule que les vieux annalistes de la peinture ; comme ils sont peintres eux-mêmes, ils se montrent rarement indulgens pour les faiblesses de leurs confrères défunts, et n’ont aucun scrupule à inventer des anecdotes déshonorantes. Ainsi en firent-ils avec Gossart. Le tranquille visage du maître proteste avec une douce énergie contre de pareilles calomnies. Sa carrière, singulièrement remplie et attachante, est, elle aussi, une protestation. Il y a très peu de temps que l’on s’intéresse comme il convient aux œuvres de Gossart. On leur tenait rigueur de leur italianisme. Fromentin avait dit : « Le premier qui partit fut Mabuse, vers 1508. » Nombreux sans doute sont ceux qui, sur la foi de ce bout de phrase, croient encore aujourd’hui que Gossart fut le premier parmi nos peintres à s’imprégner de l’idéal italien. Notre art était plein d’italianisme avant son départ ; il se pourrait même qu’à la fin de sa carrière, Memlinc eût peint des Madones agrémentées d’amorini tenant des guirlandes à l’antique. L’italianisme, du moins sous ses formes initiales, n’est plus tenu aujourd’hui pour une tare, et la passion, très justifiée mais un peu exclusive, que l’on avait vouée aux primitifs du XVe siècle s’étant un peu calmée, on s’est aperçu enfin que la première moitié du XVIe siècle flamand abonde en talens séduisans, énergiques, infiniment dignes d’admiration. Cette réaction est récente. On finira par reconnaître que l’italianisme, à ses débuts, loin d’être un mal, assura la vie et l’éclat d’une période inédite de la peinture flamande. C’est une gloire pour Jean Mabuse d’avoir été désigné par la tradition comme l’auteur responsable de cet état de choses.