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maîtrise à Anvers, et peut-être fut-il dans la vieille capitale des Flandres l’élève de Gérard David, de qui les paysages bleuâtres portent des germes d’italianisme. On ne connaît que quatre tableaux indiscutablement authentiques de maître Joachim. L’un d’eux : la Tentation de saint Antoine, de Madrid, nous fait comprendre l’admiration de Durer pour Patenier qu’il appelle den guten Landschaftsmaler. — Henri, Hendrik, Henri Bles ou met de Blés, appelé également en France Henri à la Houppe et en Italie Civetta, naquit à Bouvignes, près de Dinant, vers le même temps que Patinir, au dire de van Mander et du poète-chroniqueur Lampronius. Il est certain que Blés séjourna longtemps en Italie où son surnom de Civetta, — à cause du hibou, parfois difficilement visible qu’il peignait souvent, pas toujours, dans ses œuvres, — resta longtemps populaire. On ne sait ni où, ni quand il mourut. Tout est obscurité dans son œuvre et sous ce nom de Blés (qui n’est qu’un sobriquet appliqué à l’artiste parce qu’il avait une mèche de cheveux blancs : een witte blés van hayr) sont cataloguées les productions d’un grand nombre d’artistes, aux tendances diverses. « Herri met de Bles, a-t-on dit justement, est le titre d’un chapitre difficile et confus. » Nous avons tenté naguère d’y mettre un peu d’ordre ; nous ne nous flattons pas d’avoir réussi[1]. Ce qui est certain, c’est que Bles comme Patinir sont dans les Pays-Bas les protagonistes d’une esthétique nouvelle du paysage. Avec Gérard David et ses élèves, l’école de Bruges à son déclin était devenue sans rivale dans l’art d’associer les beautés d’un site réel et doucement poétique aux émotions des belles figures pieuses. Mais déjà les lointains bleuâtres de « maître Gheeraert » voudraient s’embellir d’un peu de mystère. Une évolution se prépare. Le romantisme de nos italianisans des débuts du XVIe siècle apparaît. On en voit sortir la formule nouvelle du paysage telle que l’appliquent Patinir et Blés. Mais l’origine de ce romantisme est en Italie même, pensons-nous, dans les paysages de Léonard de Vinci, dans les sites mystérieux que le maître des maîtres semble tirer de son rêve et dont les moindres détails sont pourtant rigoureusement étudiés sur nature[2]. Toute la

  1. Cf. nos Primitifs flamands (Van Oest, Bruxelles) et notre étude sur les Paysagistes wallons, art. cité.
  2. La formule fut préparée par plusieurs peintres du quattrocento italien ; elle se précise chez Verrocchio ; le Vinci l’impose.