Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peinture septentrionale des débuts du XVIe siècle est déjà saturée de cette poésie nouvelle. Albert Durer sans doute contribua fort à sa diffusion. Mathias Grünewald en est très imprégné et c’est très vraisemblablement Jacopo dei Barbari qui en répandit la mode dans les Pays-Bas. Faut-il s’étonner de voir Gossart, l’ami de Jacopo et son collègue au service du bâtard Philippe, s’éprendre l’un des premiers des savoureuses étrangetés de ce romantisme encore gothique ? A Borne, nous l’avons vu, Gossart dessina des monumens antiques comme le firent tant de peintres après lui, — et c’est dans un mélange de réminiscences romaines et de visions alpestres qu’il puisa les motifs de ses paysages. Avec lui et autour de lui, tous nos peintres sans exception adoptent pour les fonds de leurs tableaux la poésie des sites léonardesques.

Ils n’en gardent pas toujours le mystère ; ils accumulent rochers sur rochers ; tous leurs horizons montrent les mêmes dentelures bleues ; leurs décors artificiels se peuplent de détails terre à terre ; ils n’ont aucun souci de logique, mais ils vouent un égal amour à l’idéal nouveau. Et cet idéal, on en trouvera des expressions infiniment délicates et hautes chez des maîtres flamands tels que Quentin Metsys, van Orley, van Clève, van Coninxloo, Blondeel, chez des maîtres wallons tels que Jean Bellegambe, Jean Prévost, Patinir et Bles. (Voir à cet égard à l’exposition de Charleroi le joli tableau de la collection Heseltine attribué à Patinir : Vierge dans un Paysage et la jolie Chasse de saint Hubert, de la collection Houtart, attribuée au même.) Au début de sa carrière Peter Bruegel l’ancien est encore tributaire de ces visions convenues ; après son retour d’Italie, il dessine force panoramas du Tyrol et du Frioul, où il se souvient, dirait-on, des exemples de Blés et de Patinir. Parmi tous ces peintres septentrionaux qui renonçaient à peindre leur milieu natal, plusieurs avaient vu les Alpes d’ailleurs, et la réalité de certaines formes laisse percer leur âme de réalistes impénitens à travers le mensonge de leurs paysages attrayans. Dans les premières années du XVIIe siècle, Van Valkenburgh, Tobie Verhagt, — le premier maître de Rubens, — restent encore inféodés à cette formule gothico-renaissante. Paul Bril s’en affranchit le premier ; la vue de la campagne romaine fit de lui l’un des créateurs du paysage classique. C’est l’Italie qui détourna