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Le combat n’a duré que quelques minutes ; mais quand le calme s’établit, quand les dispositions sont prises contre un retour offensif, l’heure du réveil prévue par les ordres de la veille va être sonnée par les clairons. Le général en chef ne veut pas mettre ses troupes en marche dans une obscurité pleine d’embûches ; il décide d’attendre le jour pour le départ, et chacun rentre sous sa tente pour y chercher les restes d’un illusoire sommeil.

Les vagues contours des arbres vers l’Orient s’estompent à peine dans l’aube indécise, qu’une alerte nouvelle arme les mains fiévreuses, et garnit de soldats les tranchées sur la face naguère menacée. Un coup de fusil a retenti, prélude peut-être involontaire d’une imminente bordée de projectiles. Mais les artilleurs n’ont pas bronché ; à leur exemple, les marsouins se calment, et leurs chefs scrutent la grisaille de l’horizon voisin. Un souffle se propage et chuchote : « Ils sont là ! — Qui, ils ? les Teurs ? — Non, mon capitaine ; les Marocains ! » Et, vraiment, dans les vestiges d’une maison en ruines à qui les obus portèrent les derniers coups de grâce, on croit voir des ombres qui s’agitent sans bruit, pour une besogne bientôt devinée. Ce sont les ennemis qui, à la faveur de l’ombre propice et du sommeil de nos bivouacs, viennent, avant le jour, chercher leurs morts. Et la fusillade reprend soudain, au commandement d’un officier, sans but précis, mais non sans effet. Nulle riposte de l’adversaire qui n’a plus, semble-t-il, d’intentions belliqueuses, car le mystère et la célérité sont indispensables au succès de sa funèbre tentative ; mais, aussitôt, les ombres ont disparu. Et, dans la tranchée maintenant silencieuse, chacun attend avec impatience la clarté de l’aurore prochaine qui va dissiper l’énigme de cette angoissante nuit.

Elle paraît enfin. Dans la fraîcheur du matin nouveau, les champs, les talus verdoyans des séguias, le lointain bosquet de peupliers où se prépara l’attaque, se dégagent peu à peu de la brume que va dissiper le soleil levant. On y voit ! Tandis que les troupes, désormais sans inquiétude, activent leurs préparatifs de départ, quelques patrouilles sortent du camp et vont examiner le terrain du combat.

Le danger avait été grand. A quarante mètres environ de la tranchée, de nombreux étuis de cartouches, des taches de sang témoignent de l’audace des assaillans. Puis, à cent mètres en