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arrière, tombés face à nos troupes, neuf cadavres s’échelonnent sur le sentier et dans les champs voisins. Leur présence prouve que les Béni Mtirs, gênés par notre feu dans leur recherche des victimes, n’ont pu accomplir entièrement leur projet. Les morts qui restent, misérablement vêtus, ont dû être de pauvres hères, sans serviteurs et sans amis pour emporter leurs corps. L’un d’eux, sous le souffle de l’obus, a les jambes retournées en manches de veste ; la tête d’un autre est coupée en deux par un éclat, et la boîte crânienne, proprement déposée sur le sol à deux mètres de distance, est vidée comme une mangue par la cuiller d’un gourmet ; un troisième, la poitrine traversée, mais respirant encore, fait le mort pour éviter les mutilations dont il nous suppose coutumiers. Dans leur fuite précipitée, leurs voisins n’ont pu sauver toutes les armes : fusils et coutelas, sacoches de cartouches sont tes trophées enviés que se partagent les premiers arrivans. Un fusil Gras avec sa baïonnette accuse malheureusement, chez les Français eux-mêmes, les pratiques d’un mercantilisme sans frein.

Quelques théoriciens de la guerre européenne blâmeront peut-être la passivité de la résistance et regretteront qu’une contre-attaque vigoureuse n’ait pas lancé à propos nos soldats hors des tranchées. Des officiers qui n’avaient jamais quitté la France avant cette campagne, s’étonnaient même de la faible portée du service de sûreté. Les échelons successifs prévus par le règlement métropolitain auraient mieux éventé de loin, disaient-ils, l’approche de l’ennemi. Sans doute, sur le papier, comme sur les terrains d’Europe où les cultures, les barrières, les fossés imposent le plus souvent, pendant la nuit, l’usage exclusif des routes et des chemins, où les assaillans sont trahis par le bruit de leurs pas, où les blessés sont sacrés, une troupe en station dans un pays ennemi doit avoir réserve d’avant-postes, grand’gardes, petits postes et sentinelles ; mais il n’en peut être de même au Maroc et dans la plupart des contrées africaines. A travers l’espace qui s’étend sans obstacles autour des bivouacs, la menace est partout, l’attaque est attendue de toutes parts. Les pieds nus des adversaires glissent doucement sur le sable ou les herbes ; les sentinelles surprises sont mutilées, les prisonniers sont torturés ; en cas d’échec, les assaillans se dispersent en petits groupes sans liaison. Si l’on songe en outre que les Marocains ignorent l’emploi de l’arme blanche, qu’ils