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la redoutent à l’extrême, que leurs attaques n’ont d’autre but que le pillage à la faveur du désordre causé par leurs coups de fusil, qu’une offensive se perdrait dans le vide et la nuit, on doit approuver la sagesse des dispositifs de sûreté africains qui sont consacrés par l’expérience. Autour du camp, une petite tranchée, creusée avec les outils portatifs, quelles que soient l’heure d’arrivée à l’étape et la fatigue des soldats, donne un abri suffisant contre les balles ; à 50 mètres environ, des sentinelles veillent et peuvent trouver en quelques bonds, en cas de surprise, un abri dans le bivouac. En campagne, le sommeil est léger ; au cri d’alerte, les hommes prennent instantanément leurs postes de combat. Ils n’ont plus qu’à laisser passer l’orage, tandis que l’ennemi consomme sans résultat ses munitions.

Dans tout événement grave, il y a la note gaie. Elle ne manque pas à cette alerte qui pouvait nous couler cher. Le véritable sauveur de nos troupes ne fut pas la sentinelle dont l’appel déchaîna la fusillade, et qui reçut pour sa vigilance les chaleureux éloges de ses chefs. Un obscur soldat, perdu dans la foule anonyme, fut en réalité la cause seconde et cachée de notre final triomphe. Pressé par un de ces malaises que le pain d’orge et les fruits verts rendaient alors si communs, il allait d’une course rapide, en esclave de la discipline, fidèle observateur des consignes sanitaires, à l’un de ces endroits poétiquement dénommés « feuillées » qui marquent les abords des camps. Mais sa méditation fut courte. Sans prendre le temps de rétablir la correction de ses ajustemens, il revint aussitôt, à pas précipités, vers la sentinelle qui l’avait laissé passer. « Je crois qu’ils sont là ! » dit-il dans un souffle, et il se perdit dans la nuit. L’homme de garde, assurant alors son arme et sa voix, proféra l’injonction martiale dont la brièveté menaçante effraya les assaillans et bouleversa leurs projets.

Dans le brouhaha du départ, tandis qu’ils avalent un café anémique et bouclent leurs sacs, les troupiers se racontent encore les menus incidens, dont le souvenir se perpétuera dans les chambrées. C’est la mésaventure du bel épagneul, ami des officiers et des hommes, qui courait après les coups de feu et qui, par erreur, fut occis comme un Marocain ; c’est l’histoire brève d’un jeune sous-officier qui gagnait sa place de combat par une marche rampante où il faillit être pris pour un ennemi se glissant, poignard aux dents, jusque dans nos tentes ; ce sont