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les méprises sous les toiles bousculées, où des voix étranglées par l’émotion demandaient : « Qui es-tu ? » tandis que les mains se cherchaient, prêtes aux gestes mortels.

Mais la sonnerie « En avant » a retenti. Les trois colonnes, sous le commandement suprême du général Moinier, qui prend pour la première fois la direction de toutes ses troupes, s’échelonnent lentement sur la route de Bahlil. Les hommes vont d’un pas léger, à travers champs et sur la piste poussiéreuse. Ils sont enfin déchargés de leurs couvertures qui rendaient les sacs si gênans et si lourds, et qui sont transportées par ballots sur les chameaux du convoi. On marche droit à l’ennemi, et cette offensive plaît à l’esprit de notre race. Il semble qu’on ne doive plus revoir les piétinemens sur place des opérations antérieures, les élans arrêtés par des ordres prudens, les initiatives ardentes bridées par les prescriptions qu’imposait le rôle des colonnes de secours et de ravitaillement. Et, dès les premiers kilomètres, on se dispose à faire payer aux Béni Mtirs le sommeil troublé par l’agitation de la nuit. Ceux-ci, d’ailleurs, ne paraissent pas abattus par l’échec de leur tentative, ni par les pertes qu’ils ont subies, et qu’un des leurs évaluait plus tard à 75 tués et 15 blessés.

A peine les maisons et les jardins de Fez ont-ils disparu derrière la bordure du plateau où s’étagent les montagnes de Bahlil et de Sefrou, que les premiers coups de fusil signalent la présence de l’ennemi. Dans ce pays où l’honnête moissonneur et le coupeur de routes ont des apparences identiques, nous ne devons jamais, pour éviter les méprises, tirer les premiers, comme à Fontenoy. Les flocons de fumée, qui montent de terre en avant et sur les flancs de nos troupes, dessinent un demi-cercle que les Béni Mtirs semblent tenter de refermer sur nous. Comme aux combats du 22 et du 25 mai, on voit l’ennemi se défiler à cheval dans les imperceptibles plissemens du sol, se couler derrière les moissons mûres, pour terminer l’enveloppement et nous couper de Fez. Et, tandis que le chef de l’avant-garde essaie de s’opposer à cette dangereuse manœuvre en faisant appuyer ses flancs par les canons, un obstacle inattendu se dresse à deux kilomètres de notre front. Couronnant une crête perpendiculaire à la route, plusieurs centaines de tireurs esquissent contre nous une offensive résolue, que guide un vaste drapeau sombre, agité à tour de bras.

Les guerriers ont démasqué trop tôt leurs intentions. L’apparent