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enveloppement par les ailes devait nous obliger à éparpiller dans plusieurs directions nos détachemens de protection, et laisser l’avant-garde seule aux prises avec l’adversaire supérieur en nombre que nos chasseurs, nos spahis et nos goumiers venaient d’éventer. Et par les intervalles agrandis qui auraient séparé nos troupes, un lot de cavaliers pouvait se glisser en trombe vers les chameaux lourdement chargés des trains régimentaires et des convois administratifs, pour les piller sans danger.

« La situation semble critique, » chuchotaient quelques théoriciens inexpérimentés, mais nourris de fortes études militaires ; comme si une petite armée de 6 000 hommes, bien pourvue de canons et de munitions, pouvait se trouver en danger au milieu de toutes les tribus marocaines confédérées sur le sentier de la guerre. Tel devait être, du moins, le sentiment du général en chef qui passait souriant, très chic et très droit sur sa selle, suivi de son porte-fanion et d’un état-major copieux. Du tertre où il s’est placé, partent des ordres clairs et précis. Une batterie coloniale accourt, pointe ses pièces dans la direction du front, et les obus qui éclatent sur la ligne mince des assaillans produisent aussitôt leurs effets coutumiers. Cavaliers et fantassins s’agitent affolés sous la grêle d’acier. En vain, leur chef essaie de les maintenir ; la débandade s’accentue et se transforme en déroute. A la lorgnette, on peut voir des cavaliers enlevés de leurs chevaux ; le drapeau noir, lui-même, change trois fois de mains, et finit par disparaître sans retour.

Sur notre droite, où les contreforts des montagnes longés par la route donnent à l’ennemi l’avantage du terrain, les goumiers d’Algérie et de Chaouïa, les détachemens de la méhallah chérifienne qui s’étaient joints à nos troupes, rivalisent d’entrain pour mériter l’estime de nos soldats, et liquider avec les Béni Mtirs un gros arriéré de rancunes. Comme sur la place d’exercices, ils marchent correctement alignés, ajustent, repartent, et leur manœuvre est vraiment belle à voir. Les guerriers ennemis ne peuvent tenir contre une offensive aussi résolue ; leur cohésion apparente est brisée. Ils s’essaiment en petits groupes qui continuent, hors de la portée de nos balles, à l’abri de nos canons dédaigneux, l’inévitable fantasia des chevaux galopant en rond tandis que leurs cavaliers tirent, sans viser, de fanfarons coups de fusil.