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vers le village et montrent, dans la lorgnette, les signes évidens d’un exubérant désespoir.

Bientôt, les échos de la montagne répercutent de sourdes détonations. Des nuages de fumée noire montent au-dessus des maisons grises qui s’écroulent, et que l’ombre grandissante des sommets semble vêtir de deuil. Ce sont les soldats du génie qui font leur œuvre et vengent nos morts. Mais les regards se détournent de cette scène pour contempler un spectacle nouveau. Une théorie de douze indigènes, conduisant deux hommes ligottés, arrive par le sentier rocailleux. Leur démarche est fière et leur attitude n’est pas celle de vaincus. Près du général, ils se rangent en ligne, jettent leurs turbans à terre en signe de soumission, avec une allure de Vercingétorix lançant ses armes aux pieds de César. Ils écoutent, impassibles, leur sentence, terrible dans son apparente bénignité : leur tête répond, pour cette nuit, de la paix dans la montagne ; en otages, ils suivront nos troupes et ils seront remis au Sultan dès notre retour à Fez, comme gages des sanctions que le souverain prononcera contre les districts rebelles de Bahlil et de Sefrou. Leur vie, leurs familles, leurs biens, sont désormais en jeu ; la rage belliqueuse de quelques fanatiques peut leur faire tout perdre, mais il en sera suivant la volonté de Dieu : inch’ Allah ! Et, calmes, ils s’assoient par terre, sans parler, tandis que les gendarmes de la prévôté qui veilleront sur eux prennent livraison des deux prisonniers.

La reddition de Bahlil entraîne celle de Sefrou, qui passait pour être le chef-lieu des rebelles de la région. Les troupes peuvent maintenant s’installer au bivouac, et s’y reposer sans crainte d’alerte. Les emplacemens sont répartis entre les trois colonnes, et les victimes de la bataille commencent à respirer. La journée nous a coûté relativement cher : outre cinq ou six tués, une quinzaine de blessés grièvement atteints sont le prix dont nous payons le rétablissement du prestige local de Moulay-Hafid.

L’exécution de Bahlil, succédant à l’échec de Dar-Dbibagh, ôtait pour quelque temps aux Béni Mtirs de la région l’envie de reprendre les armes. Plus encore que la crainte, la présence des otages dans nos rangs garantissait une pacification complète, sinon durable. L’objectif de nos troupes se trouvait désormais à Meknès, où le Maghzen insurrectionnel appelait ses dernières